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la gravité, l’affinité chimique. Ces échanges dépendent des masses et des vitesses qui sont en jeu. La conception de l’univers physique est tout entière dans ces données. Jusqu’ici nous ne savons atteindre qu’un très petit nombre des faits que cette formule renferme, parce que nous ne connaissons la plupart du temps ni les valeurs absolues, ni les valeurs relatives des masses et des vitesses qui règlent la communication des mouvemens. Au point de vue pratique, nous nous contentons de dire que la chaleur, la lumière, l’électricité, la gravité, l’affinité, se transforment les unes dans les autres suivant des rapports déterminés d’équivalence, et nous leur assignons une commune mesure, celle du travail mécanique.

Restés ainsi en dehors des phénomènes, nous n’avons qu’une notion vague des circonstances qui accompagnent et déterminent les transformations. Il y a sans doute des mouvemens que nous ne savons nommer d’aucun nom, et que nous ne sommes pas aptes à percevoir, bien qu’ils jouent leur rôle dans la nature. Dans le nombre varié des mouvemens qui nous paraissent possibles, pourquoi les uns se produisent-ils et non pas les autres ? Y a-t-il parmi les mouvemens une sorte de sélection naturelle ? Nous aurions la clé des transformations qui s’opèrent sous nos yeux, si nous pouvions atteindre cette mesure des masses et des vitesses qui nous échappe jusqu’ici. Dans une machine à vapeur par exemple, l’agitation qui règne au sein du foyer se communique aux tubes de la chaudière, de ceux-ci à l’eau elle-même ; les molécules de l’eau vaporisée perdent chacune un peu de leur force vive sur le piston que ces efforts accumulés font mouvoir et qui entraîne l’arbre de la machine ; mais nous n’apercevons cette série de mutations qu’à travers un voile. Quand un mouvement d’une certaine espèce est remplacé par un autre d’espèce différente, la raison de ce changement nous échappe d’ordinaire, et c’est à cause de cette ignorance que nous avons recours à la notion de force ; nous disons qu’une force se manifeste et produit tel effet parce que nous ne pouvons pas saisir les mouvemens antérieurs d’où cet effet résulte.

La notion de force physique devrait donc disparaître, si les élémens de la mécanique moléculaire étaient connus. Dans l’état actuel de nos connaissances, il faut bien que nous la conservions ; mais il faut aussi nous mettre en garde contre les erreurs qu’elle peut entraîner. Appelons force, si l’on veut, toute cause de mouvement ; mais n’oublions pas que ce mot ne représente le plus souvent qu’une cause provisoire et conditionnelle. L’horreur du vide a été une force dans son temps, voire l’horreur du vide jusqu’à trente-deux pieds. Si nous revenons avec insistance sur cette considération, c’est qu’elle nous paraît présenter une importance capitale, et