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riences, sans aucune preuve, par une pure conception de son esprit, avait créé un système du monde : le monde était plein de matière, absolument plein, sans aucun vide ; de vastes courans circulaires régnaient à travers cette matière et entraînaient avec eux les planètes comme le courant d’un fleuve entraîne des bateaux. Les disciples de Descartes n’avaient rien rabattu de l’idée du maître, et ils accumulaient de laborieuses explications pour montrer comment les tourbillons pouvaient se propager dans le plein absolu, comment les particules de matière pouvaient glisser les unes sur les autres sans aucun vide interstitiel. En face de cette doctrine, Newton vint placer la loi de la gravitation universelle ; cette loi contenait en elle-même une masse énorme de faits : non-seulement elle expliquait tous ceux qui étaient connus, mais elle en faisait prévoir de nouveaux, et l’expérience venait justifier toutes ses prévisions. Les newtoniens se sentaient donc sur un terrain très solide. Dans leur enthousiasme, ils sortaient du domaine des faits et en venaient à regarder la gravitation comme une cause mystérieuse d’un ordre supérieur à tous les phénomènes physiques. Newton, nous l’avons montré tout à l’heure, s’était gardé de cet excès, au moins dans les commencemens de sa carrière et dans le livre des Principes. Peut-être fut-il moins réservé à cet égard dans sa vieillesse. Quant à ses disciples, ils avaient une pente manifeste à se croire en possession d’un principe surnaturel. C’est contre cette tendance que réagissait l’école cartésienne ; elle repoussait la cause occulte qu’on lui présentait, mais elle rejetait du même coup la cause et les effets démontrés par l’expérience. Elle fermait les yeux pour ne pas voir l’astronomie nouvelle, et elle s’obstinait dans sa physique de fantaisie. Elle tomba sous le ridicule, et l’hypothèse des tourbillons, dont Fontenelle fut le dernier défenseur, entraîna dans sa chute toute la doctrine cartésienne. On voit ainsi souvent dans le condit des idées humaines, lorsque deux grandes doctrines se sont combattues avec acharnement, l’une d’elles succomber tout entière et les vainqueurs effacer sans distinction tout ce que les vaincus avaient inscrit sur leur drapeau. Pour nous, qui regardons maintenant ce débat historique à travers l’apaisement des années, nous voyons le terrain où les deux doctrines ennemies pouvaient se concilier. La gravitation newtonienne et tous les faits qu’elle embrasse nous apparaissent, conformément au principe cartésien, comme des conséquences de mouvemens matériels.

Ces deux principes, si longtemps ennemis, s’unissent et se confondent dans l’idée générale que nous pouvons maintenant nous faire du système du monde. Cette idée générale se forme dans notre esprit si nous rapprochons dans une vue d’ensemble l’hypo-