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une étendue dans laquelle l’histoire des observations astronomiques, celle même de la race humaine, ne figurent en quelque sorte que comme un point.

Nous venons de suivre l’idée newtonienne jusqu’au moment où elle a rendu compte de tous les phénomènes célestes ; mais il ne faut pas croire qu’elle se soit imposée tout de suite à tous les esprits. Ses origines furent signalées par les luttes les plus vives. La querelle du cartésianisme et du newtonianisme remplit toute la première moitié du XVIIIe siècle. La physique de Descartes ne céda que lentement devant celle de Newton, et sur le terrain même des faits l’avantage resta longtemps indécis entre les deux doctrines. Non-seulement la synthèse que Newton avait tirée des lois de Kepler, mais ces lois mêmes furent longtemps contestées. A la fin du XVIIe siècle, Dominique Cassini proposait de substituer aux ellipses de Kepler une courbe qui paraissait s’adapter plus exactement aux mouvemens sidéraux ; cette courbe a pris le nom de cassinoïde[1]. On niait une des premières conséquences de la théorie de Newton, l’aplatissement de la terre vers les pôles ; les fils de Cassini, héritiers des traditions paternelles, prouvaient par la mesure d’un arc du méridien que la terre est un sphéroïde allongé dans le sens de son axe. Cette opinion prévalut dans notre Académie des Sciences jusqu’au moment où une grande expédition fut organisée pour déterminer les longueurs comparatives d’un degré près du pôle et près de l’équateur ; Bouguer et La Condamine partirent en 1735 pour le Pérou, Maupertuis et Clairaut se rendirent en Laponie. L’hypothèse de Newton sortit victorieuse de cette épreuve, et vers 1744 la plupart des savans, les deux Cassini eux-mêmes, reconnurent les erreurs d’expérience ou de raisonnement qui leur avaient fait prendre la terre pour un sphéroïde allongé. C’était le moment où la physique de Descartes sombrait enfin avec une grande partie de sa métaphysique, et l’idée newtonienne, vulgarisée par Voltaire, puis par les encyclopédistes, demeura triomphante.

Mais quel était, si nous allons au fond des choses, le point spécialement discuté entre les cartésiens et les disciples de Newton ? Descartes était parti de ce principe, que tout dans l’univers doit être expliqué par le mouvement, et ce n’est pas nous qui lui en ferons un reproche ; c’est à ce point de vue même que se place la science contemporaine, et la plupart de nos physiciens, qu’ils le veuillent ou non, se trouvent cartésiens à cet égard. Seulement, le principe posé. Descartes, sans faits, sans observations, sans expé-

  1. Dans l’ellipse, la somme des rayons menés d’un point de la courbe à deux foyers est constante. Dans la cassinoïde, courbe du quatrième degré, c’est le produit des deux rayons qui est constant.