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esclave de faire poser une affiche sur une colonne, quelque colonne de temple ou de portique, et de mettre dans l’affiche que le maître des tablettes demeure sur l’Esquilin.

C’est probablement à tort que j’ai indiqué cette habitation de Properce parmi celles des familles de race sabine ou sabellique comme lui, — il était Ombrien, — établies anciennement sur le mont Esquilin, car il n’avait ni aïeux ni fortune : c’est lui-même qui nous l’apprend[1]. La raison qui lui avait fait choisir l’Esquilin pour lieu de sa demeure était plus vraisemblablement le voisinage de Mécène, qui fut toujours bienveillant pour Properce comme pour Horace !

Properce, du reste, s’arrangeait très bien de sa pauvreté, pourvu qu’il conservât l’amour de Cinthie. Il n’envie la richesse de personne, comme il le dit à un ami opulent qui avait une villa au bord du Tibre, avec un grand parc d’où, couché mollement sur la rive du fleuve, il buvait dans des coupes, ouvrage de Mentor, en contemplant la course rapide des barques à voile et la marche lente des bateaux qui remontaient tirés par des cordes :

Et modo tam celeres mireris currere lintres,
Et modo tam tardas funibus ire rates ;


spectacles, surtout le second, que l’on peut, sans être plus riche que Properce, se donner encore aujourd’hui au bord du Tibre.

Mécène encourageait Properce dans l’entreprise de son poème national, parce qu’il devait aboutir à Auguste ; mais Properce, qui avait accepté cette tâche pour plaire à Mécène, comprit que son génie n’était point là. Il se contenta de souhaiter à Auguste la conquête du monde, à laquelle Auguste ne pensait point, comme Horace lui prédisait la prochaine soumission de l’Inde et de la Chine. Properce, qui a renoncé à toute gloire militaire, sera content s’il assiste aux triomphes de l’empereur, s’il voit son char chargé de dépouilles s’arrêter fréquemment dans sa marche pour qu’Auguste reçoive les applaudissemens du peuple. Lui cependant, appuyé sur le sein de la jeune fille qu’il aime, lira les noms des villes conquises, verra les traits et les arcs des soldats étrangers, les chefs assis sous les trophées d’armures, et il lui suffira d’applaudir avec la foule dans la voie Sacrée.

L’aimable Tibulle est le seul des poètes de ce temps auquel je n’aie pas à reprocher un vers en l’honneur d’Auguste. Les âmes tendres ne sont pas toujours les plus faibles.

Les élégies de Properce contiennent aussi des peintures de la

  1. Eleg., II, 34,55 et 56.