Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parle guère de Rome que pour exprimer la douceur qu’il goûte à ne pas s’y trouver.

Ferreus est, eheu ! quisquis in urbe manet…


Une fois cependant il la regrette, c’est lorsque, partant pour la guerre avec Messala, il lui coûte d’abandonner Délie ; il se peint alors inventant des prétextes à retarder son départ, et Délie en pleurs, se retournant pour contempler, de la porte Capène, cette voie Appienne où elle le cherche encore quand elle ne le voit plus :

Quin fleret, nostras respiceretque vias.

Rome apparaît dans les regrets de Tibulle, quand, tombé malade à Corcyre, il craint d’y mourir seul, loin de sa sœur et de sa mère. Cette douleur lui fut épargnée. Il mourut à Rome ; sa mère lui ferma les yeux ; sa sœur vint à ses funérailles. De loin, Tibulle avait rêvé son retour inattendu à Rome, la surprise et la joie de Délie ; il avait écrit ces vers, qui sont au nombre des plus touchans de l’antiquité :

Tunc veniam subito, nec quisquam nuntiet ante :
Sed videar cœlo missus adesso tibi.
Tunc mihi, qualis eris, longos turbata capillos,
Obvia nudato, Delia, curre pede…


Mais depuis ce temps il avait quitté Délie, pu Délie l’avait quitté ; il avait aimé une autre femme, appelée Némésis : « Toutes deux, dit Ovide, vinrent donner des baisers à son cadavre. »

Properce nous a plus appris sur lui-même que Tibulle, et nous pouvons mieux le suivre à Rome, d’où il ne paraît pas être sorti. Il n’a pas suivi, comme Tibulle, la guerre et les camps ; sa vocation n’était point pour les armes :

….. Non natus idoneus armis.

C’est ce que disait déjà Cicéron. Cela était nouveau : un Romain osait avouer qu’il n’avait rien du guerrier, qu’il était ce que nous appellerions un pur homme de lettres.

Properce aimait Rome, et il nous apprend que Cinthie l’aimait à cause de lui. « Je lui suis cher, dit-il, et, à cause de moi, Rome lui est chère. »

Illi carus ego, et per me carissima Roma
Dicitur.

A un ami qui veut partir, il dit : « Toutes les merveilles le cèdent à la terre romaine. La nature y a placé tout ce qui peut se trouver