Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne put y parvenir et fut réservée par le destin à une autre série d’aventures qui ne rentre plus dans le cycle des Nibelungen.

Quoi qu’il en soit, l’histoire des Niflungen ou Nibelungen du nord est finie. Personne ne possédera plus le trésor de Fafnir. Avant de quitter leur royaume, Gunnar et Hœgni l’avaient secrètement jeté dans un gouffre du Rhin, et comme ils emportèrent leur secret dans la tombe, nul ne saura jamais l’endroit où le fleuve roule ses eaux vertes sur le trésor des Nibelungen.


III.

Le grand avantage des légendes scandinaves quant au sujet qui nous occupe, c’est qu’elles nous présentent l’épopée germanique encore dans sa période de formation et pour ainsi dire d’incubation collective. Supposons qu’un cycle de lais analogue à celui qu’elles renferment circule dans une autre région : il est bien probable que, si les circonstances s’y prêtent, un poète en fera dans un intérêt poétique ce que nous venons de faire dans l’intérêt de notre exposition, c’est-à-dire qu’il les coordonnera en un tout suivant un enchaînement logique. Naturellement ces chants différeront des chants scandinaves par la forme et par plus d’un trait du fond. De là des différences qui se reproduiront dans l’épopée une fois constituée et qui s’augmenteront de toutes celles que, dans sa liberté de poète, l’arrangeur épique brodera sur le canevas traditionnel. Il ne s’agit pas, à l’époque où les Nibelungen sont écrits, de conserver un texte stéréotypé. Le goût naïf du temps, l’amour des histoires merveilleuses pousseront le poète au contraire à enrichir son récit de traits inconnus aux premiers auteurs. D’autre part, comme les chants scandinaves développent librement une tradition héroïque, mais ne prétendent nullement la reproduire dans tous ses détails, il se pourra bien qu’on trouve dans le poème plus récent des élémens d’une très haute antiquité oubliés ou négligés par les chantres du nord. Toutes ces suppositions deviennent autant de réalités dans le poème allemand, dans les Nibelungen proprement dits, dont il faut maintenant nous occuper.

Uns ist in alten Mœren Wunders vil geseit
Von Helden lobebœren, von grozer Kuonheit…

« Les vieilles traditions nous disent bien des merveilles des louables héros et de leur grande audace… » Ainsi commence le poète germain, qui par conséquent déclare dès les premiers mots (dont on remarquera le tour mystérieux et naïf) qu’il entend non pas inventer, mais reproduire ce que lui ont raconté ces vieilles légendes.