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plète du poème due à une plume féminine, à Mme Moreau de la Meltière, et mit en tête du volume une introduction fort savante pour l’époque. Malheureusement la traduction était bien souvent inexacte et sacrifiait trop au besoin d’élégance et à nos goûts modernes la couleur rude, brutale même, mais primitive, éclatante, étrangement vigoureuse, de l’original. Et puis les beaux jours du romantisme commençaient à passer, ceux de la critique historique se levaient à peine. Le silence se fit donc au sujet des Nibelungen jusqu’au moment où la critique se fut conquis une large place au soleil. Tout le monde sait avec quelle curiosité persévérante cette science nouvelle interroge les plus vieux documens, les plus vieux poèmes, les origines linguistiques et religieuses, dans l’espoir de découvrir, par une comparaison attentive, les procédés de l’esprit humain opérant et produisant spontanément selon les lois de sa nature. Le travail qui est en train de s’accomplir sur les livres sacrés et sur les épopées de tous les peuples devait s’étendre et s’est étendu à l’épopée germanique. À ce titre, et indépendamment de sa valeur propre, le poème des Nibelungen réclame sa part des investigations de la science historique aussi bien que les poèmes homériques, hindous et autres, et c’est une bonne fortune pour le lecteur français que de pouvoir désormais l’étudier dans la fidèle et lumineuse traduction dont nous sommes redevables à M. de Laveleye.

Nous verrons bientôt pourquoi le savant professeur de Liège ne pouvait se dispenser de joindre à la traduction du poème allemand celle des nombreux chants parallèles qui se trouvent à l’état fragmentaire dans les vieilles poésies scandinaves. Cette question spéciale touche de près à celle des origines que nous aurons à étudier : mais, puisqu’il y a mille raisons de penser que la très grande majorité de nos lecteurs ne connaissent les Nibelungen que de nom, nous nous proposons de leur dire ce qu’ils sont avant de chercher d’où ils viennent. Il est toutefois indispensable qu’avant de présenter un résumé du vieux poème nous rappelions les circonstances de sa résurrection au sein du monde moderne, et que nous préparions ainsi l’examen des problèmes qu’il soulève.


I.

Le poème des Nibelungen doit aujourd’hui une grande partie de sa valeur à son parfum de sauvage antiquité. Il nous transporte en réalité fort au-delà du XIIIe siècle, où il reçut la forme définitive sous laquelle il nous est parvenu. Ce sont les vieux Germains antérieurs à la conversion et même aux invasions qu’il fait revivre sous