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bien-aimée, d’en ranimer devant lui l’image, d’en contempler les merveilles. « Voici, dit-il, que les débats du Forum sont terminés : les jeux équestres, les combats simulés, les luttes commencent ; la scène se remplit, les spectateurs applaudissent dans le Champ de Mars ; on lance la balle, on roule le cerceau ; puis les trois théâtres s’ouvrent à la multitude après les trois forum. » Tantôt Ovide visite en idée sa demeure, depuis si longtemps abandonnée ; tantôt, s’élançant à travers les principaux monumens de Rome, il les voit et les montre de loin, comme s’il était réellement au milieu d’eux. « De ma maison, je me dirige vers chaque endroit de la belle ville ; je vois, je perce tout par les yeux de la pensée, les forum, les temples ; les théâtres tapissés de marbre ; puis m’apparaît le portique immense s’étendant sur le sol aplani, les gazons du Champ de Mars qui regardent les beaux jardins d’Agrippa, les Euripes, l’eau Virgo. »

Dans cette énumération, Ovide a eu soin de faire entrer les nouveaux embellissemens de Rome : inutile effort pour désarmer l’inflexible cruauté d’Auguste. Parmi toutes ses réminiscences, on sent l’élan de son âme vers la ville absente. Rome apparaît sans cesse à l’exilé avec la vivacité douloureuse du regret : l’on applaudit ses vers sur le théâtre ; là sont quelques amis vrais dont la fidélité le console, et des amis ingrats dont la trahison vient le déchirer ; là est une société de poètes auxquels il recommande de se souvenir de lui le jour de leur réunion, bien qu’il ne soit plus, dit-il, un poète romain, mais un bel esprit sarmate. « Pourquoi vous envoyer ces vers ? s’écrie-t-il. C’est que je veux de quelque manière être avec vous. » S’il célèbre dans son désert le jour natal de sa femme, il croit voir la fumée de l’encens se diriger du côté de l’Italie. Malheureusement, ce n’est pas toujours une illusion aussi touchante qui le transporte à Rome, c’est aussi la pensée d’un triomphe de Tibère, de Tibère qui devait être pour Ovide aussi inexorable qu’Auguste. La vive imagination du poète voit et peint de loin, comme si elle était présente, cette scène triomphale à laquelle on aimerait mieux qu’il applaudît moins. Il est encore plus triste de l’entendre, quand il a reçu les portraits d’Auguste, de Tibère et de Livie, déclarer qu’il est de retour à Rome, puisqu’il jouit de ces présences augustes et qu’il ne lui manque plus que de voir la maison du Palatin pour s’y croire revenu tout à fait. « Quand je vois César, il me semble que je vois Rome. » Certes, pour le pauvre banni, le mensonge de la flatterie ne pouvait aller plus loin.

Ovide se relève trop rarement par la fierté du poète, auquel nul ne peut enlever son génie et sa gloire. Il le fait cependant une fois, et cette fois les sept collines lui apparaissent plus noblement. « On