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les plaintes et les supplications d’Ovide. C’est une dureté de plus d’Auguste envers sa victime.

Le quartier de Rome où l’exilé suivait en pensée la marche timide de son livre cruellement repoussé, ce quartier était le sien ; il logeait près du Capitole ; on le voit par la belle élégie où il retrace ses derniers momens de Rome :

Quæ mihi supremum tempos in urbe fuit.


Dans cette triste nuit, la lune éclairait pour lui les temples du Capitole. Ovide y peint sa douleur en traits que les exilés reconnaîtront, et quel exil que celui de Rome pour un Romain ! Il peint aussi le désespoir de sa femme. Ovide, ce me semble, n’eût pas osé le faire, s’il avait été trop mauvais époux. On peut admettre qu’il était alors un peu revenu de ses erreurs de jeunesse. La généreuse conduite d’une épouse qui lui resta courageusement dévouée me porte à croire qu’il n’avait eu avec elle que des torts qu’on peut pardonner. Celle qui protégea si noblement les intérêts et l’infortune du banni protège encore sa mémoire. Elle a inspiré à l’auteur léger de l’Art d’aimer, mûri par l’âge et le malheur, des vers d’une tendresse grave et pénétrante qui font penser à un sonnet de Pétrarque. « Toi que j’ai laissée jeune lorsque je quittai Rome, tu dois avoir vieilli par mes maux. Oh ! fassent les dieux que je te voie telle que tu es devenue, et que je puisse baiser avec tendresse tes joues changées ! »

Nous devons au malheur d’Ovide des descriptions de Rome d’un genre particulier, des descriptions que lui dictent l’imagination et le souvenir. « Rome et ma maison m’obsèdent, et le regret des lieux, et tout ce qui reste de moi dans la ville que j’ai perdue… Devant mes regards sont errantes ma maison, Rome, la forme des lieux. »

Roma domusquo subit, desideriumque locorum.
………..
Ante oculos errant domus, urbs et forma locorum.

La privation du pays natal lui en fait vivement sentir le charme. « Je ne sais, dit l’exilé, par quelle douceur il nous tient saisis et ne nous permet pas de l’oublier ; » puis vient ce qui est toujours pour lui la conclusion : quoi de meilleur que Rome ?

Quid melius Roma ?…

Sa consolation et son tourment étaient de se transporter en esprit dans cette Rome, tout son désir de suivre par la pensée les différentes phases de la journée romaine, de parcourir cette ville