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ministres d’Auguste III, c’était surtout le chef du cabinet de Saxe, M. le comte de Brühl. Frédéric exagérait sans doute, soit par colère, soit par politique, quand il se faisait fort de prouver, papiers sur table, les noirs complots du personnage ; M. de Vitzthum me paraît exagérer à son tour lorsqu’il veut absolument que le comte de Brühl n’ait jamais nourri de pensées hostiles au roi de Prusse. La vérité est que le ministre saxon, au milieu de sa vie épicurienne, avait assez de clairvoyance pour s’effrayer par momens de l’ardeur de Frédéric II, et que sa mollesse, bien plus encore que ses principes, en faisait nécessairement l’auxiliaire de Marie-Thérèse, le collaborateur secret de M. de Kaunitz. La Saxe du comte de Brühl, alors même qu’elle restait neutre, était, si l’on me passe ce terme, la première préfecture du vieil empire.

On devine l’émoi de la cour de Dresde après une telle missive : les promesses de modération, les assurances d’amitié n’étaient là que pour la forme ; Frédéric, à la tête d’une armée de soixante-dix mille hommes, occupait tout le nord de la Saxe, et il accusait les noirs complots du cabinet saxon ! Que faire en ce péril ? persister à demeurer neutre ou se joindre aux troupes impériales ? chercher un refuge quelque part, en Bohême, en Pologne, ou bien se retrancher sur un point du pays et garder la défensive ? M. de Vitzthum, à l’aide de ses pièces authentiques, nous révèle toutes les opinions qui se croisent en ce conseil effaré. Diplomates, généraux, chacun à son point de vue propose un plan de campagne. Enfin c’est l’avis le plus sage qui l’emporte : le roi quittera Dresde, sa dignité l’exige ; quelle serait sa position en face des hôtes redoutables qui demain peut-être envahiront la ville ! La plus grande partie de l’armée saxonne est rassemblée au camp de Pirna, espèce de forteresse naturelle défendue par des rochers à pic ; la place du roi est là. On avisera ensuite aux projets ultérieurs. Soit qu’on veuille s’unir à l’Autriche, soit qu’on essaie de tenir tête à la Prusse sans s’écarter du territoire, on peut attendre les événemens derrière ce rempart inexpugnable. Dès le 2 septembre, le soir même du jour où s’est tenu ce conseil, la garnison de Dresde va rejoindre le corps d’armée, laissant à la milice bourgeoise le soin de garder la ville. Le lendemain, Auguste III se met en route pour le camp après avoir adressé au roi de Prusse la réponse que voici :


« Monsieur mon frère, le général Meagher vient de m’apporter la lettre que votre majesté m’a écrite en réponse à celle dont je l’avais chargé pour elle. Je suis à la vérité fort sensible aux expressions affectueuses avec lesquelles votre majesté m’assure de son amitié pour ma personne ; mais je me flatte qu’elle voudra bien me faire sentir incessamment les effets de ces assurances, qui me sont très précieuses.