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pays au commencement de l’année 1866. Les procédés despotiques et perfides de Frédéric II vis-à-vis de l’électeur de Saxe, roi de Pologne, lui ont paru comme une sorte de programme prussien trop fidèlement suivi de nos jours par le comte de Bismark, et il a cru que le juste intérêt attaché il y a cent ans à de royales victimes profiterait aujourd’hui à la politique de M. de Beust. Nous examinerons tout à l’heure quelle est la portée de ces rapprochemens ; il faut savoir d’abord ce que l’historien, avec ses documens secrets, a de neuf à nous apprendre. Du laborieux récit de M. de Vitzthum je détache ce qui est vraiment digne d’être recueilli par la critique, le tableau des perfidies et des violences de Frédéric II au début de la guerre de sept ans. Les méfaits de Frédéric en 1756, comme les méfaits de M. de Bismark en 1866, doivent-ils nous faire oublier quels intérêts et quels droits représente l’Allemagne du nord depuis la révolution du XVIe siècle ? C’est là un problème d’un autre ordre. L’erreur que je reproche à M. de Vitzthum, l’erreur perpétuelle qui gâte pour moi ce curieux livre, c’est d’avoir embrouillé toutes ces choses. Divido sententiam, disait le sage antique. Distinguons les principes et les hommes qui en abusent. Je vais raconter avec M. de Vitzthum une aventure odieuse, je vais maintenir contre M. de Vitzthum les grandes causes qu’il a méconnues ; dans l’une et l’autre tâche, je serai fidèle à une même inspiration, l’amour de la justice et de la vérité.


II.

Au mois d’août 1756, Frédéric, persuadé ou feignant d’être persuadé que l’Autriche et la Russie viennent de s’allier contre lui par un traité secret, se décide à porter la guerre dans les états de Marie-Thérèse. C’est en Bohème qu’il veut frapper les premiers coups ; pour cela, il a besoin de traverser le territoire saxon. Ce droit de passage, de passage innocent, comme on disait, — ohnschädliger Durchmarsch, transitus innoxius, — était réglé par les lois de l’empire et soumis à certaines formalités, quand une des parties belligérantes avait à traverser un état neutre. Sans se soucier des règles, Frédéric se borne à signifier au cabinet de Dresde que son armée entre en Saxe. Il ne demande pas, il ne prévient pas ; c’est le 28 août qu’il est parti de Potsdam pour aller rejoindre son armée à la frontière saxonne, et ce jour-là même le ministre saxon à Berlin, M. de Bulow, mandé vers le soir par le comte de Podevils, ministre du roi de Prusse, reçoit officiellement la notification du transitus innoxius. Que le roi de Pologne ne s’alarme point, disait M. de Podevils ; les troupes prussiennes observeront la plus sévère discipline, la cour de Dresde sera l’objet des plus res-