Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

thrax, qui semblait peu dangereux d’abord, l’emporta en quelques jours par suite d’une résorption purulente. Il supporta ses souffrances avec un calme stoïque, et il vit approcher la mort avec une sérénité inaltérable. Vivement préoccupé des destinées de l’homme après cette fugitive existence, il croyait en l’immortalité de l’âme; plusieurs de ses tableaux le proclament. Sa dernière conversation porta sur la vie future à propos des paroles de Socrate dans le Phédon qu’un ami lui rappelait : « Ne sais-tu pas que l’âme est immortelle? » Ce fut le dernier acte religieux de sa vie accompli dans cette entrevue suprême après que cet ami, remplissant un pénible, mais viril devoir, lui eut annoncé que sa fin était proche. Il admirait le christianisme. Deux de ses compositions les plus belles sont consacrées à en célébrer la vertu libératrice; mais il avait rompu avec le catholicisme et ses ministres, dont il déplorait la funeste influence et condamnait les visées ambitieuses. Il ne permit à aucun d’eux d’approcher de sa couche mortuaire. N’ayant adopté aucune forme de culte qui correspondît à ses croyances spiritualistes, il voulut mourir comme il avait vécu, sans se soumettre à des rites dont l’accomplissement, lorsqu’on a cessé d’y croire, n’est plus qu’une dérision hypocrite de l’éternité qui commence. Il expira le 18 juin 1865, à dix heures du soir, à l’âge de cinquante-neuf ans.

Jusqu’à sa dernière heure, il songeait à l’art auquel il avait voué toute son existence. La veille de sa mort, il rédigea de sa main une disposition ainsi conçue : « Je nomme mon ami Charles Potvin mon légataire universel. » Il ne pouvait faire un meilleur choix pour l’exécution de ses dernières volontés. Un poète dont les vers sont toujours inspirés par l’amour de la justice, de la vertu et de la patrie était digne de représenter l’artiste désintéressé qui n’avait jamais eu qu’un but, contribuer pour sa part à la gloire de son pays. M. Potvin connaissait les intentions de Wiertz. Aussitôt le testament ouvert, il s’empressa de délivrer à l’état belge l’œuvre entière du peintre. Les chambres sanctionnèrent la délivrance du legs, et le musée Wiertz fut constitué. Toujours préoccupé de maintenir ses tableaux réunis de façon à constituer une collection inséparable, l’artiste avait écrit dans un de ses projets de testament : « Pour l’exécution de cette clause sans laquelle aucune de mes œuvres ne serait devenue la propriété de l’état, je m’en remets à la bonne foi de mon pays. » Le pays a reçu ce legs avec reconnaissance, et il saura le conserver avec un soin pieux. Il y va non-seulement de sa bonne foi, mais de sa gloire. Une nation ne saurait mieux s’honorer elle-même qu’en honorant ses hommes éminens, et parmi ceux-ci la Belgique peut certes in-