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vation de la croix qui rappelle celle de Rubens qu’on admire dans la cathédrale d’Anvers. Seulement ici l’idée est plus haute, plus philosophique. Au bas de la toile, le despotisme, représenté par un centurion romain, force à coups de fouet les esclaves à dresser la croix qui va les délivrer, tandis qu’en haut les puissances infernales, dirigées par Satan, repoussent le symbole de l’émancipation universelle. La figure du Christ, que la croix rend invisible, jette des torrens de lumière qui traversent toute la toile et inondent les esclaves d’une clarté magique, — belle image de la parole de vérité qui va briser leurs chaînes et éclairer leur esprit. Le Dernier Canon offre une scène plus compliquée, mais une pensée non moins grande et morale. Sur la terre, c’est la guerre avec toutes ses horreurs. Ici un amas de cadavres mutilés, l’un d’eux tient encore entre ses bras le drapeau souillé de sang. Là une jeune femme soutient sur ses genoux le corps de son mari, que ses enfans désespérés couvrent de baisers. Plus loin encore, un père mourant tend vers sa fille les lambeaux sanglans de ses deux bras qu’un boulet a emportés. Au-dessus de cet horrible champ de bataille plane la civilisation revêtue d’un manteau de pourpre et d’or, emblèmes de la puissance et de la richesse. De ses bras vigoureux, elle tord et brise le dernier canon. Derrière elle s’élancent les générations heureuses, qui voient se réaliser le beau rêve des hommes de bien, la paix universelle. Elles sont conduites par la science; la poésie, la peinture, la musique, les accompagnent; le travail, l’industrie, l’agriculture, les précèdent. Une figure armée d’une torche met le feu à un énorme poteau sur lequel est écrit frontières, et plus loin la guillotine disparaît dans les flammes. La même pensée, la condamnation de la guerre, a inspiré encore une autre toile, très petite, celle-ci, mais d’une grâce charmante. Un canon est à terre parmi les fleurs, des enfans aux chairs éblouissantes de fraîcheur jouent au soldat autour de ce bronze farouche qui doit les moissonner un jour. Le contraste entre ce métal lugubre et la joie qui éclate sur ces ravissans visages fait frissonner. Le peintre a appelé ce tableau : La chair à canon. C’est ainsi que les maîtres anciens se sont plu à représenter souvent l’enfant Jésus endormi sur la croix.

Non content de peindre d’une brosse rapide et sûre vingt sujets divers, qui tous expriment une idée, Wiertz voulait revenir à la sculpture, qu’il n’avait jamais tout à fait abandonnée. Il modela vers la fin de sa vie trois groupes qui devaient symboliser l’histoire de l’humanité, et qu’il aurait voulu reproduire en dimensions colossales sur une place publique. Le premier groupe, la première époque, c’est la Naissance des Passions, la cause des luttes qui vont