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est qu’appliquée directement sur le mortier, elle ne convient pas aux climats humides du nord; ensuite elle exige une exécution très rapide et ne permet pas les retouches. Il arriva, après de longues recherches, à un procédé de peinture mate qu’il employa depuis lors dans presque tous ses tableaux. Jusqu’à lui, on avait essayé de rendre la peinture sur mur plus solide, moins sujette à détérioration, en employant l’encaustique et le wasserglas. Son but à lui était d’arriver à peindre sur toile avec les mêmes effets que sur les murailles. Les avantages que présente cette méthode sont nombreux et très importans. Tout miroitement est supprimé. La toile, qui conserve toute sa souplesse, peut être placée sous tous les jours sans qu’il se produise aucun reflet. La couche de couleurs est si mince qu’il n’y a plus à craindre ni gerçure, ni écaillement, ni coulure : fâcheux accidens qui ont compromis la conservation de plus d’un tableau et qui menacent les modernes plus encore que les anciens, comme le prouvent par exemple les Moissonneurs de Léopold Robert et le Déluge de Girodet. Avec le procédé nouveau, on peut obtenir l’éclat et la vigueur du coloris, le modelé le plus achevé, la finesse ou la hardiesse de la touche, l’exécution rapide. Les retouches sont toujours possibles sans qu’on les aperçoive, et il y a une économie des neuf dixièmes sur les frais que nécessite la peinture ordinaire. L’artiste a exposé tous les détails de son secret dans un mémoire qui sera bientôt publié. Déjà des peintres en ont fait usage avec la plus grande facilité et un incontestable succès.

Maître de son procédé, Wiertz l’appliqua bientôt à une nouvelle série de compositions où il essaya de traduire en figures symboliques les sentimens et les idées qui l’occupaient tour à tour. Quand on visite son musée, toujours ouvert au public, l’attention est aussitôt attirée par un tableau d’un aspect étrange, et qui, s’étendant depuis le sol jusqu’au plafond, n’a pas moins de sept mètres de hauteur. On y distingue un géant courbé jusqu’à terre, mais dont la taille est si énorme, que s’il devait se redresser il soulèverait le toit de l’édifice. C’est Polyphème dévorant les compagnons d’Ulysse. Il en tient un dans sa main; un autre disparaît broyé entre les terribles mâchoires du monstre. Le reste de la troupe fuit épouvanté. Ulysse seul se prépare à résister et tire déjà son épée, image de l’intelligence qui ose lutter contre la force brutale, et qui parvient à la vaincre. Ce Polyphème est bien l’ogre le plus effroyable que l’on puisse rêver dans une nuit de cauchemar. L’artiste a intitulé ce tableau : Un grand de la terre. Entre beaucoup d’autres œuvres, presque toutes d’un sens profond, il en est deux qui nous montrent le talent de Wiertz dans toute sa maturité. C’est le Phare du Golgotha et le Dernier Canon. Le Phare du Golgotha est une élé-