Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/845

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

per sur le centre de l’action, afin que les personnages principaux apparaissent en plein relief et que le reste soit rejeté dans l’ombre, sacrifié, comme disent les artistes. C’est ainsi qu’est obtenue l’unité, qualité non moins essentielle dans les œuvres plastiques que dans les compositions littéraires. Les tableaux italiens, même ceux de premier ordre, pèchent souvent sous ce rapport. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, dans l’Assomption de la Vierge du Titien à l’Académie de Venise, l’œil est attiré à la fois et par le vêtement éclatant de la Vierge et par ceux de plusieurs des disciples, dont les tons ne sont pas moins vigoureux. L’unité fait défaut. Dans les tableaux de Rubens, de van Dyck, de Rembrandt, même dans les petits Flamands, Gérard Dow, van Ostade, Jan Steen, Wouwermans, la lumière est vivement projetée au centre, et elle va se dégradant, s’éteignant de tous côtés à mesure qu’elle s’éloigne du sujet principal. Aussi se sent-il singulièrement désappointé, celui qui, habitué aux toiles de l’école flamande, se trouve tout à coup en présence même des célèbres fresques du Vatican, où le peu de ressources qu’offre la peinture à l’eau sur mortier humide n’a pu permettre d’arriver à ces effets prestigieux du clair-obscur. C’est un des secrets de son art que Wiertz a parfaitement analysé dans ses écrits et dont il a tiré le meilleur parti dans presque tous ses tableaux, dans sa grande toile le Triomphe du Christ surtout, où la lumière traverse diagonalement le champ de l’action, projetée en une traînée flamboyante sur les deux principaux personnages, l’archange exterminateur et l’ange du mal. Cette même œuvre permet d’observer aussi un des côtés faibles du talent du peintre, défaut qu’il a en commun avec les maîtres mêmes de l’école flamande. Le dessin des différentes figures n’est pas assez étudié et la signification en est trop peu déterminée. L’artiste a admirablement représenté le choc et la lutte des anges et des démons, mais il aurait dû imprimer à chacun d’eux un caractère spécial, une individualité distincte. La mythologie chrétienne aurait pu lui fournir le type des différens vices, la volupté, l’orgueil, la cupidité, et d’autre part il aurait pu représenter les vertus que le Christ par ses discours et sa mort allait répandre dans le monde. Les maîtres italiens étudiaient chaque figure à part ; ils s’efforçaient de lui donner de la noblesse, de l’élégance, de la grâce, et, pour arriver au contour le plus parfait qu’il leur était donné d’atteindre, ils n’épargnaient ni études ni esquisses préparatoires. Les Flamands sont plus préoccupés de l’effet général ; ils cherchent l’harmonie de l’ensemble, et souvent Rubens peignait directement ses toiles sans dessiner les figures autrement qu’à la brosse. De cette différence dans le génie des deux écoles, il résulte que les tableaux italiens perdent beaucoup