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dans un de ses écrits aux jeunes artistes, il leur dit : « Si vous ne vous sentez point cet amour ardent, ce courage indomptable, ce puissant enthousiasme qui fait tout sacrifier à l’art, ne soyez point des nôtres; mais si la passion qui nous anime remplit votre âme, venez à nous, et vous comprendrez alors à combien peu de chose se réduisent les besoins de la vie, combien le corps est sobre et peu exigeant alors que l’âme n’a plus qu’une pensée, qu’un désir, qu’un vœu. » Comme il disait, il faisait. Il dévouait sa vie entière à son art. C’était son unique pensée, sa seule passion. Il y sacrifia jusqu’à sa santé même, qui s’altéra gravement à la suite des recherches chimiques auxquelles il se livra avec une ardeur fébrile pour perfectionner un nouveau procédé de peinture. Absorbé dans son culte, il oubliait le reste; mais n’ayant aucune fortune et ne vendant point ses tableaux, comment donc vivait-il? D’abord en limitant ses besoins au plus strict nécessaire, ensuite en vendant des portraits faits à la hâte et qu’il n’avouait pas. Il les donnait d’abord pour 300 ou 400 francs, puis pour 1,000. Il avait tort sans doute de traiter avec tant de dédain un genre de peinture qui a fourni aux plus grands maîtres, à Titien, à Raphaël, à Rembrandt, à van Dyck surtout, l’occasion de faire des chefs-d’œuvre; mais il n’y voyait qu’une manière de gagner son pain quotidien avec son pinceau, comme l’avaient fait Rousseau en copiant de la musique, et Spinoza en polissant des verres de lunettes. Il réservait ainsi pour ses œuvres de prédilection tout son temps, toute son indépendance. En ceci, Wiertz était un homme antique : il vivait de peu comme certains philosophes grecs dont l’histoire nous vante la simplicité stoïque. Il a toujours dédaigné ces raffinemens du luxe et de la vanité, ces goûts de comfort qui enchaînent l’existence moderne et qui sont la perte de tant d’artistes. Ont-ils trouvé une veine qui plaît au public et un genre qui se vend bien, ils referont sans cesse le même tableau avec les mêmes personnages, les mêmes costumes, les mêmes accessoires, sans autre souci que de gagner beaucoup d’argent. On ne peut pas plus les blâmer que d’autres industriels qui trouvent moyen de placer à un haut prix les produits que la mode consacre; mais à coup sûr ce n’est pas ainsi qu’ils feront avancer l’art, ni même qu’ils exécuteront tout ce dont ils seraient capables.

Dans ce tableau de 1848, le Triomphe du Christ, se révèlent les qualités qui font de Wiertz le vrai disciple de Rubens, la vie, la force, le mouvement, la science et l’instinct du coloris, l’entente du clair-obscur. Il est un point où les peintres flamands ont presque tous excellé, c’est dans l’art de bien distribuer la lumière. Pour qu’un tableau ait toute sa valeur, il faut que la lumière vienne frap-