Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les arts. » Par une ironie du sort qui montrait combien les préventions de l’artiste étaient injustes, ce fut précisément un journaliste et un critique de profession, M. Lalanne, qui l’emporta.

Sa nature le portait à la lutte. Fils de soldat, sa carrière fut toute militante. C’est bien à lui qu’on peut appliquer le mot connu : la vie est un combat. Lutter contre les difficultés de son art, contre les appréciations étroites, les hostilités jalouses et surtout contre le découragement des demi-succès, telle fut sa destinée pendant les premières années de sa vie.

Enfin Wiertz eut son jour: ce fut en 1848. Ayant quitté Liège après la mort de sa mère, il était venu se fixera Bruxelles. Il chercha longtemps en vain un atelier assez vaste pour commencer la nouvelle œuvre qu’il méditait. Il obtint enfin qu’on mît à sa disposition une usine abandonnée, et c’est là qu’il peignit la toile qui lui assura désormais une place incontestée au premier rang des artistes de son pays. Ce tableau de vingt-cinq pieds de haut sur quarante de large est intitulé le Triomphe du Christ. Quoiqu’il eût dit quelque part avec beaucoup de sens : « La grandeur d’une composition tient moins aux dimensions qu’au style, » la fougue de son pinceau l’entraînait à préférer les proportions colossales. Le Triomphe du Christ est peut-être celui des tableaux de Wiertz où l’on peut le mieux apprécier les caractères distinctifs de son talent, l’originalité de la conception, la vigueur de l’exécution. L’idée est neuve et profonde; ce n’est plus le Christ expirant sur la croix, victime de l’injustice humaine et adressant au ciel cette parole tragique : O mon père, m’avez-vous abandonné? Le drame de la Passion, van Dyck l’a rendu avec une force et une vérité que nul n’a surpassées. Ce n’est point non plus le Christ triomphant au jugement dernier. Cette vision du dernier jour est au Vatican, et il n’y a pas à y revenir après Michel-Ange. Wiertz a voulu représenter la révolution morale qui prend date à la mort du Fils de l’homme. L’humanité était livrée au mal et l’esprit asservi aux sens. La tyrannie, l’esclavage, la sensualité, l’iniquité sous toutes les formes, régnaient sur la terre. Jésus meurt parce qu’il a apporté aux hommes une doctrine d’affranchissement pour les pauvres et les opprimés; à ce moment, une grande révolution morale s’accomplit. L’esprit de vérité et de justice se répand dans le monde, il chasse devant lui les puissances des ténèbres : les anges du mal sont vaincus et une ère meilleure inaugurée. C’est un sujet nouveau dans l’art chrétien, sujet plus général que le Calvaire, d’un sens moins mystique que le jugement dernier et digne de tenter un peintre philosophe, qui avec des symboles, des lignes, des couleurs, prétend exprimer une pensée. Voyons comment Wiertz a rendu le sujet qu’il avait si bien choisi. Le Christ vient d’expirer sur la croix; sa