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ne tarde pas à se perdre. Les plus humbles, les plus obscurs, ceux même qui n’ont pris aucune part aux événemens et qui les ont à peine suivis expriment encore longtemps après des sentimens bien supérieurs à ceux que comporte d’ordinaire leur condition. Il suffit d’avoir vécu en certaines années ardentes pour sortir de cette flamme meilleur, plus pur, plus tort. Les idées nouvelles, les généreux élans qui emportent alors les nations pénètrent dans toutes les classes et ennoblissent toute une génération. Par l’intermédiaire de son père, Wiertz hérita de cet esprit de la révolution qui visait à tout renouveler et qui, pour récompense, ne demandait que la gloire, cet applaudissement des siècles, comme dit Bossuet. Trois mobiles principaux poussent les hommes à agir. Le premier est le sentiment du devoir ou l’idée de se conformer à la volonté divine. C’est le plus élevé de tous; il anime les philosophes, les martyrs, tous les grands hommes de bien. Le second est l’amour de la gloire; c’est lui qui entraîne les héros et les grands artistes. Le troisième est le désir du bien-être; c’est celui qui détermine la plupart des hommes, ceux que l’on nomme le vulgaire. Inférieur au premier, très supérieur au troisième, Wiertz ne connut que le second de ces mobiles; mais il en fut possédé et pour ainsi dire enflammé à un âge où les autres enfans ne sortent qu’à leurs jeux. De bonne heure il montra un goût très prononcé pour le dessin et la sculpture. A l’école, il avait toujours un crayon à la main et il cherchait à colorier ses esquisses. Sans autre outil que son couteau, il sculptait divers objets avec une étonnante adresse. Il parvint à imiter ainsi une grenouille si parfaitement qu’on l’eût crue vivante. Le succès de ce trompe-l’œil décida de son sort. Le capitaine de gendarmerie, chef de corps de son père, entrant un jour chez celui-ci, y fut pris; il crut voir une vraie grenouille, et il en parla partout. Un membre des états-généraux qui habitait Dinant et qui aimait les arts, M. Paul Maibe, conçut un vif intérêt pour l’enfant qui montrait des dispositions si précoces; il le prit chez lui, l’envoya à l’école et lui fit donner des leçons de dessin et de musique. Quand son protégé eut atteint l’âge de quatorze ans et fut arrivé à sculpter, dessiner, graver et jouer de divers instrumens, il le conduisit lui-même à Anvers. Là, sous la direction de deux excellens maîtres, Herreyns et van Brée, le jeune Wiertz fit des progrès ra- pides. Dès l’année 1821, il avait obtenu du roi Guillaume, grâce à l’intervention de M. Maibe, une petite pension de 140 florins, élevée successivement jusqu’à 300. C’était bien peu pour vivre. Ces 200 écus semblent pourtant lui avoir suffi. Il mettait en pratique les austères conseils de son père. Travaillant sans relâche, il ne s’accordait aucun délassement et s’imposait la plus stricte écono-