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diment s’engager dans la voie des réformes radicales, sans courir le risque d’ébranler pour l’élection prochaine une popularité qui grandit tous les jours.

On a cru que le président allait se présenter à ses adversaires avec une politique nouvelle qui supplanterait l’amendement, et dont le programme résumé en deux mots, suffrage universel et amnistie universelle, satisferait à la fois le peuple du nord et le peuple du sud ; mais, sans compter que le programme des radicaux est encore plus raisonnable, et que les hommes du sud pourraient bien regarder comme trop coûteuse cette amnistie acquise au prix du suffrage des noirs, il est trop tard aujourd’hui pour dérober au congrès l’honneur de sa victoire. La seule chose que M. Johnson eût à faire, et qui pût lui regagner honorablement la faveur publique, c’était d’avouer loyalement qu’il s’était trompé sur l’opinion du peuple, et qu’éclairé maintenant par les élections dernières, il était bien décidé à oublier sa politique personnelle, pour ne plus se rappeler que ses devoirs envers son pays.

On sait déjà qu’il n’en a rien fait. Le congrès vient d’ouvrir sa dernière session de trois mois, et le président lui a aussitôt adressé le message officiel. Ce document ne présage encore aucun changement dans sa politique. Il entretient longuement les chambres des affaires extérieures et financières, de la prospérité du trésor qui, en une seule année, a remboursé 190 millions de dollars (1 milliard de francs) sur la dette contractée pendant la guerre, de la nécessité de mettre fin à l’occupation du Mexique, et d’un avis donné à la France de retirer au plus tôt ses troupes, si elle veut rester en bonne intelligence avec le gouvernement des États-Unis. Quant aux affaires intérieures, le président se contente d’exprimer le vague espoir d’une conciliation prochaine et d’un retour du congrès à sa politique. Ce n’était pas le langage qu’il aurait fallu tenir pour donner satisfaction aux radicaux. À présent que les voilà rentrés au Capitule, il est bien à craindre qu’ils ne se laissent aller au plaisir de la vengeance, et qu’ils n’essaient de lancer contre le président ce terrible décret d’impeachment dont n’a été frappé encore aucun président des États-Unis. Si nulle concession n’apaise leur colère, ils n’hésiteront pas à prononcer sa déposition, car ils peuvent en ce moment fonder cette mesure sévère sur des raisons de bonne et rigoureuse justice. Thaddeus Stevens s’en va déjà proclamant à qui veut l’entendre que les articles du jugement sont rédigés d’avance, et qu’il est impatient de s’en servir.

Si les choses en venaient là, que ferait encore M. Johnson ? Aurait-il assez de dignité pour accepter avec résignation sa défaite, assez de patriotisme pour rentrer dans la retraite et renoncer à