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plongé dans une perplexité profonde. Les bruits les plus contradictoires en avaient couru. Tantôt on le disait disposé à offrir au congrès un amendement de sa façon, tantôt on affirmait qu’il était décidé à ranimer la guerre civile. Un jour, au moment des élections d’octobre, on répandit dans les grandes villes la nouvelle qu’il avait convoqué son conseil des ministres pour consulter l’attorney-general sur la légalité d’un coup d’état à tenter contre le congrès. Il s’agissait de savoir si le congrès actuel, privé des représentans des dix états du sud, était bien un congrès légal, et si le président ne pourrait pas le renverser en rassemblant un autre congrès où ces députés prendraient place. L’idée n’était pas neuve, et il y avait plus d’un mois que le Times de New-York, alors tout dévoué au président, en avait ouvertement et imprudemment fait la menace. Il s’appuyait sur une loi de 1862, qui avait fixé à 241 le nombre des membres de l’assemblée. Une majorité du nombre total, soit 121 membres, constituait donc le quorum nécessaire pour délibérer. Si les membres conservateurs se séparaient du congrès et se réunissaient aux députés évincés des états du sud, peut-être pourraient-ils former le quorum nécessaire et abandonner à leur impuissance les radicaux isolés. Tel était le projet audacieux qui avait au moins traversé l’esprit de M. Johnson, et dont la nouvelle, publiée par les journaux au milieu même des élections, pouvait bien n’être qu’une édition savamment retardée. On devine ce qu’elle jeta partout d’épouvante et de colère, malgré le démenti formel envoyé le lendemain par le président. L’autorité disputée entre deux congrès hostiles, la rechute des états du sud dans une rébellion nouvelle et pire peut-être que la première, la perte de tous les sacrifices faits pour le maintien de l’unité nationale, la guerre civile enfin désolant chaque ville et chaque village des États-Unis, voilà quels seraient les résultats infaillibles de cette coupable et folle aventure. La forte majorité des radicaux leur permet heureusement de se défendre et de se maintenir au palais du Capitole contre quiconque aurait l’insolente prétention de les chasser, et M. Johnson a dû renoncer bien vite à substituer aux vrais représentans du pays une caricature de congrès faite à son image et soumise à ses volontés ; mais la force ouverte peut encore lui rendre ce que ne saurait plus dérober cette escobarderie légale. Qui sait si l’homme capable de projeter des coups d’état pour rester le seul maître reculera devant la spoliation violente d’une assemblée qu’il déteste, et qui ne lui ménagera pas les provocations ?

M. Johnson s’est mis par sa faute dans la position la plus incommode et la plus périlleuse où se soit jamais trouvé le chef d’une république. À moins qu’il ne se rende sans condition et qu’il ne con-