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dement constitutionnel des radicaux. La désorganisation pénétrait jusque dans le camp démocratique. Des amis politiques personnels du président, les uns l’abandonnaient, les autres se refroidissaient, bien peu lui restaient complètement fidèles. Le Herald, ce Protée ingénieux de la presse américaine, si habile à flairer dans l’air le vent qui s’élève, commençait à faire grise mine au président et à adresser aux radicaux les plus gracieux sourires. Oubliant que la veille encore il les dénonçait au peuple comme des usurpateurs et des fanatiques, il daignait maintenant découvrir que l’amendement constitutionnel était plein de justice, et qu’il n’était pas dénué de modération. Il s’apercevait tout à coup que le plan de restauration du congrès ne différait pas sérieusement de l’ancien programme du président, que d’ailleurs il exprimait l’opinion du peuple, et qu’après tout la décision suprême appartenait moins au président qu’au congrès. Même le Times et son directeur M. Raymond, qui d’ordinaire obéissent aux inspirations du ministre d’état, commençaient à donner tort au président et à le menacer de leur défection s’il ne se décidait pas à conclure un accommodement avec les radicaux. Il en était de même de M. Thurlow Weed, intime ami du ministre, et de tous ces républicains modérés, un peu mobiles, qu’on pourrait appeler le parti Seward. Toute cette nuance du parti conservateur et sans doute son chef avec elle suppliaient le président d’adopter l’amendement, en y faisant quelques modifications légères qui sauveraient sa dignité.

M. Johnson a résisté à tous ces conseils. Il comptait au moins sur l’appui de l’armée. En traînant avec lui dans sa tournée électorale le plus glorieux et le plus populaire des hommes de guerre de son pays, il avait espéré l’associer intimement à sa politique et lui faire contracter quelque engagement formel de le servir envers et contre tous; mais le général Grant était d’une prudence et d’une discrétion à décourager toutes les avances des partis, qui se disputaient son patronage. A toutes les ovations qui lui étaient faites par les uns ou par les autres, il répondait simplement avec son laconisme proverbial : « Messieurs, je vous remercie. » Il allait même jusqu’à refuser la popularité dont on l’accablait, comme n’étant pas de son métier et ne convenant pas à un soldat, qui devait ne s’attacher de préférence à aucun parti, mais faire simplement son devoir, en restant fidèle aux lois. Quand les radicaux l’applaudissaient aux dépens du président, quand ils essayaient d’employer son nom comme une arme de parti, il fronçait le sourcil et semblait mécontent. Jamais cependant il ne laissait échapper un seul mot qui pût compromettre son indépendance ou donner le droit au président de le compter parmi ses amis. Une seule fois dans tout le voyage, — c’était à Cincin-