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accueillir le plan de restauration du congrès. C’est ce que n’entendaient pas permettre les esclavagistes et les rebelles qui formaient à présent le nouveau parti conservateur groupé autour du président. Ils résolurent d’empêcher à tout prix la convention de s’assembler. Rien d’ailleurs ne leur était plus facile : ils avaient pour eux la municipalité, la justice, les trois quarts des habitans, la police enfin, que le nouveau maire Monroe, un acharné sécessioniste, avait composée avec soin d’anciens soldats rebelles et d’aventuriers hardis, tout disposés à un coup de main. Pour garder à l’émeute une apparence légale, on n’avait qu’à demander aux tribunaux un mandat d’arrêt général contre tous les membres de la convention. Il fallait seulement s’assurer que le pouvoir militaire n’interviendrait pas pour les protéger, et le maire, en homme avisé, imagina de faire entrer dans le complot le président des États-Unis : M. Johnson fut consulté, et l’encouragea dans son entreprise. Le général Baird, qui commandait en l’absence du général Sheridan, n’osa prendre à lui seul aucune décision formelle : il répondit seulement aux sollicitations du maire qu’il interviendrait, si la convention dégénérait en émeute; quant au gouverneur Wells, il se montra faible, hésitant, et ne sut ni protéger la convention ni l’empêcher de se réunir. — Le 30 juillet, jour de l’ouverture, les rues voisines du lieu des séances furent remplies d’agens de police armés jusqu’aux dents. Ils espéraient que les gens de couleur, réunis de leur côté pour défendre l’assemblée, justifieraient leur attaque par quelque provocation; mais une vingtaine de nègres à peine stationnaient devant la porte, et presque tous étaient sans armes. La foule ameutée par le maire commence pourtant à les insulter. Bientôt arrive une procession d’une centaine de nègres, également paisibles et désarmés. Dans le tumulte, un coup de pistolet se fait entendre : c’était le signal. La police arrive en masse, on tire, on jette des pierres; les policemen ouvrent un feu nourri sur l’édifice, où la convention surprise arbore un drapeau blanc. Les portes s’ouvrent, la police s’y précipite, le revolver au poing; elle se rue sur l’assemblée désarmée, et tue tant qu’elle peut tuer. On la chasse, on se barricade, le combat recommence au dehors; un cercle de policemen se forme devant la porte et tire sur tous ceux qui essaient de s’échapper. La foule ameutée les imite, les aide à poursuivre et à massacrer les fuyards; on tue les blessés, les prisonniers, on les mutile à coups de couteau, on les lapide avec des briques. Il y eut plus de trois cents victimes, et la police présida jusqu’au bout à cet infâme assassinat. Le général Sheridan, malgré le visible désir qu’avait le président de justifier ses bons amis du sud et de faire passer cette petite Saint-Barthélémy de l’esclavage pour la répression légitime d’une conspiration radicale, déclare dans son rapport