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nion. Tableau consolant et enchanteur, auquel tout le monde aimerait à croire ! Seulement que l’amendement constitutionnel vienne à réussir, et soudain tout ce bel édifice s’écroule avec fracas; la rébellion à peine calmée se ranime, une guerre de caste impitoyable éclate entre les deux races, les États-Unis sont noyés dans le sang, l’Union est déchirée à tout jamais, et de toute l’Amérique il ne reste que des ruines.

N’est-ce pas attribuer une puissance bien formidable au plan de restauration du congrès? Il est vrai, et cela va sans dire, que les gens du sud éprouvent pour cette mesure une horreur profonde; le retard mis par les radicaux à l’admission de leurs députés leur cause une vive et naturelle irritation. Les dépositions recueillies de la bouche même des plus grands personnages du sud par le comité de reconstruction dans son enquête générale sur la condition des états rebelles, bien qu’elles soient dictées évidemment par l’intérêt politique et concertées à Washington avec le président, sont en définitive les documens les plus véridiques qu’on puisse consulter en cette matière. Or elles témoignent toutes ensemble d’une grande amélioration dans l’état matériel du sud et d’un adoucissement inespéré dans ses dispositions morales; mais elles mentionnent pour la plupart, ce que tout le monde aurait pu prévoir, un mécontentement sourd, une espèce de découragement mêlé de colère, avec une résolution ferme de combattre l’amendement à outrance et de soutenir le président dans son duel avec le congrès; il y aurait même chez quelques-uns une velléité impuissante de recourir aux armes. La prudence conseille de grands ménagemens envers cette population frémissante et encore mal soumise. On a eu raison d’adoucir la clause de l’amendement qui condamnait les anciens rebelles à une incapacité politique absolue ; il aurait mieux valu qu’elle fût supprimée. Toute bénigne qu’elle est devenue, elle entre pour beaucoup dans la colère des gens du sud et dans leur aversion pour le nouvel amendement. Elle a une couleur d’humiliation qui les blesse mille fois plus encore que la diminution de pouvoir qu’entraîne le nouveau système électoral.

S’il y a en ce moment chez les gens du sud une espèce de recrudescence des souvenirs de la rébellion, la faute en est bien moins à la dureté des radicaux qu’à l’encouragement coupable et à l’indulgence intéressée du président. Les répugnances n’étaient pas moins profondes, ni les protestations moins menaçantes, quand l’autre amendement qui abolissait l’esclavage fut voté dans les états du sud, et tout a cédé alors devant un ordre impérieux venu de la Maison-Blanche. Il en est de même aujourd’hui : les états du sud voteront le nouvel amendement dès que le président et le congrès