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après avoir énuméré les beaux lieux qu’il avait admirés dans son voyage de Grèce, revenant à son cher Tibur, il s’écrie, comme d’autres pourraient le faire aussi : « Rien ne m’a frappé autant que la demeure retentissante d’Albunée[1], l’Anio qui tombe, le bois sacré de Tiburnus et les vergers qu’arrosent les eaux vagabondes ! »

Quam domus Albuneae resonantis,
Et præceps Anio, ac Tiburni lucus, et uda
Mobilibus pomaria rivis.


Est-il rien de plus gracieux, de plus sonore et de plus frais ? Malheureusement il ne reste d’Horace à Tivoli que les cascatelles, dont le murmure semble un écho de ses vers. Les ruines qu’on montre au voyageur, comme celles de la maison d’Horace, ne lui ont jamais appartenu, bien que déjà du temps de Suétone à Tibur on fît voir aux curieux la maison du poète.

C’est une erreur qui date de l’antiquité. Il ne paraît pas qu’Horace ait jamais eu une maison à Tivoli. Il y allait souvent, il y composait des vers, mais sans doute dans la maison de Mécène ou de Varus, l’ami de Virgile, qu’Horace a si bien pleuré. Il dit positivement qu’il ne possède d’autre bien de campagne que ce petit bien de la Sabine que Mécène lui avait donné. Avec quoi eût-il pu acheter une propriété ? était-il homme à faire des économies sur les modiques appointemens de la charge de scribe du trésor qu’il avait achetée ? Le vœu ou plutôt le rêve que forma Horace de finir ses jours près de Tibur ou dans le doux pays de Tarente ne prouve nullement qu’il ait eu une villa aux environs de Tarente ou de Tivoli. Horace parle aussi d’un séjour dans le frais Préneste, et personne n’a cherché une maison d’Horace à Palestrine. On en peut dire autant de son goût pour Baïes[2].

Le véritable pèlerinage à la demeure champêtre d’Horace, c’est celui qu’on peut faire à sa villa de la Sabine, dont l’emplacement a été si bien déterminé, près de Rocca Giovane, par M. Rosa. S’il ne reste de la maison que des briques et des pierres enfouies à l’endroit où une esplanade en fait connaître aujourd’hui remplacement, les lieux d’alentour portent des noms dans lesquels on a pu retrouver les anciens noms. Varia est Vico Varo ; le village de

  1. De la sibylle de Tivoli, dont on croît reconnaître, mais hélas ! à tort, le temple élégant suspendu au-dessus d’un gouffre de verdure, d’ondes et de bruit. Voyez Nibby (Dint., III, p. 203). Je pense comme lui que domus Albuneœ ne veut pas dire le temple, mais plutôt la grotte de la sibylle. Ailleurs (Carm., IV, 3, 10) Horace parle des eaux qui fertilisent Tibur, elles y sont encore, et des épaisses forêts qui l’avoisinent, celles-là n’y sont plus.
  2. Carm., III, 4, 24.