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que la constitution des États-Unis n’a pas permis qu’aucune nomination fût décidée sans l’approbation du sénat : elle n’a donné au président que le droit limité de remplir provisoirement les vides qui se produisent entre les sessions; mais le président connaissait l’art de créer des places vacantes, tout exprès pour avoir à les remplir, et il comptait au dernier moment peupler l’administration de ses créatures. Sous l’effort d’un aussi rude adversaire, le congrès pouvait perdre en quelques semaines tout l’avantage laborieusement conquis pendant une lutte de sept mois.

Les radicaux sentirent le danger. D’abord ils jetèrent à l’eau quelques lois impopulaires, telles que le bill des tarifs, mesure douanière très onéreuse qui fut repoussée par le sénat. Ensuite ils cherchèrent à se concilier la nombreuse population irlandaise, qui jusqu’alors votait toujours avec les démocrates, en infligeant un blâme au gouvernement pour la conduite qu’il avait tenue à l’égard des fenians. Ils l’accusèrent d’avoir livré lâchement les fenians à l’Angleterre, et poussèrent l’extravagance jusqu’à émettre le vœu qu’on les reconnût comme puissance belligérante, ainsi que l’Angleterre avait elle-même reconnu les insurgés du sud. Enfin le 11 juillet, à la veille de se dissoudre, ils tinrent un grand conciliabule pour s’entendre sur les moyens de parer aux menaces du président : il fut question de rester en session tout l’été, pour tenir en bride leur farouche adversaire. Le sénat, particulièrement utile pour empêcher les manœuvres administratives, offrit de se constituer en permanence jusqu’à la fin des élections. Il fut question de nommer un comité chargé spécialement de contrôler les nominations présidentielles; mais cette espèce de délégation n’était pas légale. On se sépara donc sans avoir rien résolu, en se promettant toutefois de faire une guerre acharnée à la future convention de Philadelphie, et de lui opposer une autre convention radicale où l’on convoquerait les loyalistes du sud.

La modération des radicaux n’avait donc rien apaisé. Ils se retrouvaient, malgré les concessions faites, à la même distance de leur adversaire que par le passé. A chaque mouvement en avant qu’ils avaient fait pour se rapprocher du président, celui-ci avait fait un pas en arrière pour éviter leur voisinage; ils l’avaient ainsi rejeté jusque dans les bras des démocrates et des hommes du sud. Il avait tant reculé que beaucoup de ses partisans conservateurs se trouvaient, sans avoir bougé, transportés au beau milieu du parti radical. On s’en aperçut au désordre qui se fit un moment dans les rangs de la faction présidentielle. Le cabinet lui-même dut se décomposer. Le directeur des postes, M. Dennison, ancien président de la convention unioniste de Baltimore en 1864, donna sa démission pour rentrer dans le parti républicain, où le rappelaient les