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germes. Le procédé de chauffage employé par MM. Privas et Thomas, de Mèze, ne supprime pas non plus les parasites. Au contraire la fabrication des conserves par le procédé d’Appert ressemble beaucoup au procédé de M. Pasteur, et nous ajouterons que M. Gervais a fait breveter dès 1829 un moyen de conservation du vin par le chauffage à l’abri de l’air. Enfin M. de Vergnette-Lamotte, qui s’est beaucoup occupé de la conservation des vins et qui avait déjà essayé à cet effet la congélation, a communiqué à l’Académie des Sciences un procédé identique en principe à celui de M. Pasteur ; seulement M. de Vergnette prolonge le chauffage pendant plusieurs mois. La publication de sa note a croisé une communication de M. Pasteur ; nous n’entrerons pas dans les détails du débat de priorité que cette circonstance a soulevé ; qu’il nous suffise de constater que les coïncidences de ce genre sont une heureuse confirmation de l’utilité d’une découverte.

Si le temps, qui juge en dernier ressort la valeur de toute innovation, confirme les espérances que l’on fonde sur le procédé recommandé par M. Pasteur, il en résultera des conséquences immenses. La France possède deux millions d’hectares plantés en vigne ; cela représente annuellement 50 millions d’hectolitres de vin et un capital d’environ 500 millions de francs. La récolte du vin est donc, après celle des céréales, la plus importante du pays ; le seul département de l’Hérault produit trois fois plus de vin que le royaume de Portugal. Si on considère maintenant que les vins français se transportent sur tous les marchés du globe, et que l’usage s’en généralise davantage de jour en jour, on comprend toute la portée d’un procédé destiné à convertir tous ces vins en vins de garde. Jusqu’ici peu de nos vins supportaient les voyages de longue durée, et les détériorations auxquelles ils étaient sujets ont, par exemple, considérablement restreint l’extension du commerce des vins français en Angleterre. Désormais peut-être le nord de la France, l’Angleterre et les autres pays déshérités recevront des vins stables à bas prix ; le vin naturel, le vin aliment, sera mis à la portée de l’ouvrier dans les régions où la vigne ne prospère point ; il luttera contre l’influence abrutissante de la bière, qui nous envahit depuis vingt ans. On prévoit quels immenses débouchés s’ouvriront ainsi aux vins de France et particulièrement aux vins du midi. Le commerce de détail tirerait sans doute aussi un parti utile du chauffage, car il est naturel de penser que ce procédé doit diminuer les inconvéniens de la vidange. C’est ainsi que la science, en se mettant au service des plus humbles intérêts comme des plus élevés, grandit elle-même et conquiert le respect des masses.


R. RADAU.

F. Buloz.