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tels que ceux de la Côte-d’Or, en brûlant quelques-uns des principes volatils qu’ils renferment. La fleur du vinaigre se développe de préférence dans les vins fins que l’on laisse vieillir en tonneaux avant de les mettre en bouteilles. Le vin est tout à fait perdu, propre seulement à être converti en vinaigre, dans le cas où ce champignon l’a envahi d’une manière exclusive, en refoulant peu à peu la fleur du vin, qu’il prive d’aliment et qu’il détruit même directement en s’y attachant comme parasite. La pratique de l’ouillage, qui consiste à tenir toujours pleins les tonneaux en vidange, paraît dans beaucoup de cas arrêter les progrès du mal.

Quand la chaleur de l’été a pénétré dans les caves et en a élevé la température, il arrive fréquemment que le vin tourne. Il est alors plus ou moins trouble ; si on l’agite dans un verre, on y voit des ondes soyeuses courir en divers sens ; sur les bords, il se forme une couronne de petites bulles. Dans les tonneaux bien fermés et pleins, le liquide semble se dilater ; il suinte par les joints des douves, il fait bomber les fonds du tonneau, et, si l’on pratique une ouverture, il jaillit parfois avec force et très loin. Les propriétaires disent alors que le vin a la pousse. Au contact de l’air, il change de couleur en prenant une teinte plus foncée ; la saveur s’affaiblit, s’altère et prend quelque chose de fade. La bière et le cidre sont sujets à la même maladie. On l’attribuait jusqu’ici à la lie, qui, disait-on, remontait dans le liquide. M. Pasteur, en examinant avec M. Balard un vin tourné qui était devenu si fade que l’on aurait pu croire à une falsification par addition d’eau, n’eut pas de peine à reconnaître que l’origine du mal devait être cherchée dans un ferment particulier, ferment organisé et semblable en tout à celui qui produit d’ordinaire l’acide lactique. Des recherches ultérieures ont complètement confirmé cette manière de voir. La maladie du vin tourné ou monté est toujours due à des filamens d’une extrême ténuité, qui ont souvent moins d’un millième de millimètre d’épaisseur. Ces filamens forment des chapelets d’articles analogues à la tige du blé ou à celle des bambous, sans étranglemens apparens ; ce sont de véritables fils non rameux et qui peuvent paraître très longs quand les articulations sont peu accusées. Réunis en masses, ils donnent lieu à ces ondes soyeuses qui se montrent lorsqu’on agite le vin. Quant au dépôt du tonneau, il n’est point formé par la lie ordinaire ; c’est toujours un amas de ces filamens qui, enchevêtrés les uns dans les autres, présentent l’aspect d’une masse noirâtre, glutineuse, qui s’étire en fils muqueux lorsqu’on l’entame avec un bâton de verre. La fermentation à laquelle ce parasite donne lieu est accompagnée d’un dégagement de bulles d’acide carbonique. C’est ce gaz qui produit le pétillement dans les verres et la pression qui dilate les parois du tonneau.

Le parasite, du vin tourné se multiplie principalement après les grandes chaleurs, mais il existe à l’état de germe dès les premiers temps de la vinification. Le microscope en fait reconnaître la présence, et par suite annonce le commencement de la maladie, quand rien dans le goût du vin ne la trahit encore. On comprend maintenant les bons effets des soutirages