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naigre, et l’affaiblit ; elle ne saurait en déterminer la formation, puisqu’elle le détruit au contraire. Cette opinion, basée sur une observation exacte, mais incomplète, prit place dans la science.

Les membranes en question se montrent souvent à la surface des liquides fermentes, où elles forment des pellicules grasses, lisses ou ridées ; on les appelle alors fleurs du vin, fleurs de la bière, fleurs du vinaigre ; les botanistes leur ont donné le nom de mycodermes. C’est le comte Chaptal qui a le premier signalé la nature végétale de ces productions. Il en parle dans son traité sur l’Art de faire le vin, qu’il publia peu de temps avant d’être appelé au ministère de l’intérieur[1].

Les mycodermes se rangent parmi les plantes les plus simples. Ce sont des filamens très minces, souvent composés d’articles soudés bout à bout ; on peut les comparer aux champignons. Le mycoderme que l’on appelle fleur du vinaigre consiste essentiellement en chapelets d’articles légèrement étranglés vers le milieu. Il faudrait ranger à la file trois cents de ces articles pour couvrir un millimètre. Quand l’étranglement est très prononcé, on dirait une réunion de deux globules, et la fleur du vinaigre peut alors être confondue avec une autre espèce de mycoderme, sorte de ferment qui se compose de véritables chapelets de grains, et dont il importe de la distinguer. Le mode de multiplication de ces champignons microscopiques est fort simple : les chapelets s’égrènent, les articles s’étranglent de plus en plus, se séparent en deux globules qui s’étranglent à leur tour en grandissant, et ainsi de suite. Beaucoup d’infusoires, et notamment les vibrioniens, se reproduisent de la même façon. Il est très facile de se procurer une liqueur éminemment propre à la multiplication de ces végétaux parasitaires. Que l’on fasse, par exemple, bouillir une petite quantité de levure de bière ou de lie de vin dans de l’eau ordinaire ; la liqueur ayant été ensuite filtrée à clair, on y ajoutera 1 ou 2 parties d’acide acétique et 3 ou 4 parties d’alcool pour 100 parties d’eau. Ce mélange représente en quelque sorte une excellente terre toute préparée à recevoir la semence des champignons microscopiques ; les principes azotés qu’il renferme y jouent le rôle d’engrais : ils nourrissent les champignons-fermens, ils ne sont point fermens eux-mêmes. Que Ton sème à la surface de ce liquide fertile quelques taches de fleurs du vinaigre ; dès le lendemain, on la trouvera couverte d’un voile uni, d’une sorte de pellicule grasse et gluante qui se compose d’un nombre incalculable de mycodermes de la même espèce.

M. Pasteur a étudié avec soin les fonctions physiologiques de ces petites plantes, et il est arrivé à des résultats fort curieux. Ainsi, il a trouvé qu’il faut d’abord établir une distinction entre la fleur du vin et la fleur du vinaigre. La véritable fleur du vin se compose de cellules beaucoup plus grosses que celles de la fleur du vinaigre et dont les contours arrondis rappellent la forme de la pomme de terre ; ces globules ovoïdes se reprodui-

  1. La première édition est de 1799, la seconde de 1807.