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originale de ses œuvres, celle où il a le plus mis de lui-même. Le souvenir d’Horace est beaucoup plus présent que celui de Virgile à Rome, et surtout aux environs de Rome. Ses poésies sont pleines d’allusions locales : au pont Fabricius, où l’on allait de préférence se noyer (Ponte quattro Capi), au ludus Æmilias, école de gladiateurs près de laquelle étaient des ateliers de statuaires, aux cimetières de l’Esquilin, hantés par les loups et les sorcières, et où il place la scène d’un affreux drame nocturne, sans analogue, que je sache, dans la poésie antique : le sujet de ce drame est le supplice d’un adolescent enterré vivant la tête hors du sol, auquel l’affreuse magicienne présente et enlève tour à tour des alimens pour que ses yeux se fendent, pour que son foie et la moelle de ses os desséché par cette torture puissent servir à la composition d’un philtre.

Sans cesse il est question, chez Horace, du Champ de Mars, le rendez-vous de la brillante jeunesse, qui offre à toutes les heures du jour les spectacles les plus variés : cavalcades nombreuses, prouesses des nageurs dans le Tibre, exercices de toute espèce, la lutte, la course, le jeu de balle et de cerceau, le jeu du trait, du disque, auquel les Romains d’aujourd’hui n’ont pas renoncé, et que, même dans l’intérieur de la ville, ils lancent volontiers à la tête des passans. Puis, quand arrive le soir, le Champ de Mars et les places publiques deviennent le théâtre des entretiens amoureux, et les rires agaçans des jeunes filles partent de tous les coins des rues.

Horace se représente comme un vrai flâneur, allant par les marchés, demandant le prix des légumes et du blé, rôdant à la tombée de la nuit dans le cirque, livré aux prédictions des charlatans, dans le Forum, où ces poètes en plein vent récitent leurs vers, où se débitent toutes les nouvelles au pied de la tribune, dont il ne reste que cela, et d’où elles se répandent par les carrefours.

…….Percontor quanti olus ac far ;
Fallacem Circum, vespertinumque pererro
Sæpe Forum ; assisto divinis……..


Le Forum n’est plus rempli comme autrefois de l’agitation d’un peuple libre, mais c’est toujours un lieu très fréquentée parfois la cohue y est grande ; on y voit à la fois trois enterremens et deux cents voitures. Les embarras de Rome commencent, ils ne sont pas encore ce qu’ils seront au temps de Juvénal ; mais déjà Horace, — que dirait-il à Paris ? — se plaint qu’à Rome on bâtit partout ; ce ne sont que fardeaux portés et traînés, grues qui élèvent des poutres et des pierres, files de chars funèbres, et à travers tout cela court un chien furieux, ou un pourceau immonde se précipite. On pense bien qu’Horace ne négligeait pas la promenade sous les portiques :