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et rien n’annonce encore qu’elle ait été abandonnée. Nous ne sommes point ennemis de l’intervention des femmes dans la politique ; nous ne sommes point de ces farouches partisans de la loi salique qui croiraient tout perdu, si les femmes se mêlaient des affaires de l’état. En Angleterre, aux États-Unis, il est déjà des femmes qui réclament le droit de suffrage ; quand nos aimables compatriotes nourriront à leur tour une semblable ambition, elles ne trouveront point en nous des adversaires rébarbatifs ; il y a longtemps d’ailleurs que les politiques français ont eu la galanterie de se mettre en règle envers elles, et d’avouer que lorsque les hommes règnent, ce sont les femmes qui gouvernent. Les femmes ont été aussi mêlées parfois aux destinées de la papauté : qui ne se souvient de cette grande figure du moyen âge, la comtesse Mathilde, unie à Grégoire VII par un dévouement si fidèle, et qui donna des provinces au saint-siège ; mais la pensée généreuse qui conduirait aujourd’hui à Rome l’impératrice des Français n’est-elle point contre-balancée par des inconvéniens périlleux auxquels on ne se pardonnerait point d’avoir involontairement donné naissance ? Rien ne serait touchant assurément comme les attentions pieuses de la souveraine d’un grand empire pour le vieux pontife à qui il ne reste plus d’autre arme que la force morale de son caractère et de ses vertus ; mais n’est-ce point justement les surprises de la sensibilité et les incidens qui en pourraient naître qu’il importe d’écarter de la scène austère et grandiose qui va se passer à Rome ? Les hommes en de telles épreuves ont besoin de toute la lucidité de leur esprit, de toute la fermeté de leur caractère, de toute la liberté de leur résolution. Est-ce bien pour le charme et l’attendrissement féminins le lieu et le moment de se produire ? Nous ne parlons point des hasards, des incidens, des pièges de cette vilaine politique si souvent dépourvue d’urbanité et d’entrailles ; mais ne serait-on pas désolé, si la présence de l’impératrice à Rome allait être traversée par quelque stupide et disgracieuse complication ? Tels sont les doutes qui nous assiègent, et nous croyons pouvoir nous permettre de les exprimer avec respect.

Une particularité singulière, c’est que le baron Ricasoli, à ce qu’on nous assure, verrait avec plaisir le voyage de l’impératrice à Rome. Nous croyons que le « baron de fer » est en cette circonstance fasciné surtout par la générosité, la grâce et l’éclat qui distingueraient une telle démarche ; cependant il serait surprenant qu’un homme d’état italien se laissât aller à un entraînement d’imagination et de sentiment sans le contrôler par un calcul politique. Évidemment pour M. Ricasoli la présence de l’impératrice aurait l’avantage de diviser les responsabilités. Si les choses venaient à se passer moins heureusement qu’on n’est en droit de le supposer, M. Ricasoli pourrait se décharger en partie sur nos épaules du poids de la mésaventure. Dans le chapitre des accidens que le chef du cabinet italien doit en ce moment tenir sous son regard, il est plus d’une chance assurément où la poli-