Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourra rester ce qu’il est, qu’il n’y a plus aucune raison pour que sur soixante-dix cardinaux plus de cinquante soient Italiens; mais ce n’est là encore que le fait le plus secondaire dans l’ordre nouveau qui commence, qui date de l’abolition du pouvoir temporel. De cette révolution italienne découle un changement bien autrement grave : c’est cette nécessité qui s’impose à l’église catholique de s’organiser, de vivre désormais par la liberté, dans la liberté. Cette condition inéluctable implique nécessairement toute une politique nouvelle dans le système des rapports de la société religieuse et de la société civile, ou du moins des pouvoirs civils et des pouvoirs religieux. Ces rapports se fondaient jusqu’ici sur un partage du gouvernement des hommes, sur un accord plus ou moins laborieusement conquis, et qui a dégénéré plus d’une fois en instrument d’oppression; ils ne peuvent plus reposer aujourd’hui que sur un grand système d’indépendance mutuelle, de séparation des deux pouvoirs. Cette liberté, qui apparaît au sommet de la hiérarchie de l’église comme la compensation d’une souveraineté temporelle désormais impossible ou inefficace, doit tendre inévitablement à se propager, à se généraliser dans le monde catholique. Si l’église entend ses intérêts, elle n’a plus évidemment qu’à s’attacher aux droits de tous pour maintenir ses propres droits, à demander la liberté de tous comme la garantie de sa propre liberté. Elle n’a plus en un mot qu’à s’accoutumer à cette atmosphère virile des luttes où l’ascendant ne s’acquiert et ne se conserve que par la supériorité morale et intellectuelle. Je ne dis pas que ce ne soit une grande nouveauté qui commence, et que le monde aille entrer d’un seul coup dans ce régime où la séparation des pouvoirs devient une garantie de plus pour l’indépendance humaine. Je ne dis pas que l’Europe, que la France notamment puisse se jeter à l’improviste et sans réflexion sur les traces des États-Unis. Encore ne faudrait-il pas abuser de cet argument, parce qu’en répétant sans cesse que nous ne pouvons avoir la liberté comme aux États-Unis, la liberté comme en Angleterre, on finit par nous faire une liberté qui ne ressemble à aucune autre, et qui est tout simplement un despotisme plus ou moins tempéré. Ce qui est certain, c’est que d’une façon ou d’autre là est l’avenir, là est la force, et si cette révolution d’Italie fait de la liberté une fatalité heureuse, elle ne sera pas seulement un grand événement national, elle sera une date bienfaisante et féconde dans l’histoire des hommes.


CHARLES DE MAZADE.