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pauté serait obligée de se résigner à ce qu’elle ne peut empêcher, ce serait mieux encore assurément que d’aller chercher l’indépendance sur les chemins. En définitive, y aurait-il une bien grande différence entre la situation qui pourrait être créée aisément et la situation telle qu’elle est en ce moment? La souveraineté temporelle n’existerait ni plus ni moins, puisqu’elle n’est plus qu’un vain mot. Les catholiques français pourraient-ils sérieusement se plaindre, crier à la servitude du pape, parce qu’au lieu de nos soldats ce seraient des soldats italiens qui monteraient la garde au Capitule et empêcheraient d’entrer la nuit au Colisée? Ils sont naïfs, ils ne voient pas que les catholiques de tous les autres pays sont en droit d’en dire autant aujourd’hui, qu’à leurs yeux Français et Italiens, c’est la même chose au point de vue de l’indépendance politique du saint-siège. Et pour la papauté elle-même quelle serait la différence entre l’état actuel où elle a une royauté apparente, il est vrai, mais où elle ne peut se soutenir, et un état où elle resterait libre, souveraine dans son inviolabilité spirituelle, débarrassée de ce que Pie IX appelait un jour le boulet du pouvoir temporel? Ces idées, la marche des choses les suscite tous les jours à Rome dans bien des esprits qui ont commencé par voir dans le pouvoir temporel presque un dogme, qui n’y ont plus vu bientôt qu’une nécessité, puis une convenance, et qui sont maintenant tout près de n’y voir qu’un fardeau. Ces esprits en viennent à se faire le raisonnement que se faisait il y a cinquante ans, à une époque de crise bien autrement violente, le cardinal Pacca, un homme pourtant très dévoué au saint-siège. « Je pensais, disait-il, que la perte du pouvoir temporel et de la plus grande partie des biens ecclésiastiques aurait fait cesser ou du moins s’affaiblir cette jalousie universelle et ces dispositions hostiles qui se manifestent partout contre la cour romaine et le clergé; que, débarrassés du pesant fardeau des affaires temporelles, les papes auraient tourné toutes leurs pensées et tous leurs soins au gouvernement spirituel de l’église; que l’église romaine, n’ayant plus la splendeur et les pompes royales non plus que l’attrait des biens temporels, n’aurait plus vu entrer dans son sein que des hommes dévoués à l’œuvre sainte qu’elle doit accomplir... Je pensais que dans les délibérations des affaires ecclésiastiques on n’aurait plus vu figurer le pouvoir temporel parmi les motifs adoptés pour prendre ou rejeter une résolution, car ce motif mis dans la balance pouvait faire pencher du côté d’une excessive et vile condescendance... »

Ce que le cardinal Pacca pensait en présence d’un attentat de la force qui enlevait le pape et faisait de Home un chef-lieu de département français, à bien plus forte raison on le pense aujourd’hui en présence de ce qui ne découronne plus Rome, de ce qui n’est