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et il les a bien plus perdues depuis. Évidemment il est tout à fait inutile de demander à Pie IX ce qu’il ne donnera pas, ce qu’il considère comme un devoir de conscience de refuser, c’est-à-dire une sanction de la déchéance temporelle du saint-siège. Les principes! c’est là son bouclier; mais en même temps il s’intéresse à tout ce qui se fait en Italie. Il aime à parler de l’armée italienne; à l’époque des dernières négociations, lorsque M. Vegezzi vint à Rome, ce fut, dit-on, une des premières choses dont il s’informa, demandant avec une sollicitude empressée ce qu’était cette armée, si on pouvait compter sur elle. Il a gardé pour le roi Victor-Emmanuel une vieille affection, et les rapports personnels n’ont jamais été complètement interrompus. Lorsqu’une des jeunes filles du roi devenait reine du Portugal, Pie IX se souvenait très bien qu’elle était sa filleule.

Au fond, sans nourrir d’illusions, et en bornant sa confiance aux destinées de la religion dont il est le chef, le pape désire, je pense, rester à Rome, et la plupart des cardinaux le désirent encore plus que lui : ils se rappellent Gaëte; le souvenir des expatriations du temps de l’empire les trouble encore davantage. Et dans ce désir il y a quelque chose de plus que le sentiment craintif de vieillards arrachés à leurs habitudes et jetés sur les chemins du monde; il y a le sentiment profond, instinctif que, quelles que soient les révolutions d’un peuple, la place du gouvernement de l’église catholique, du pape, est auprès de la confession de saint Pierre. Il y a de plus une vue juste, car enfin si l’Italie est intéressée à ne rien faire qui puisse inévitablement provoquer le départ du pontife de Rome, est-ce que la papauté elle-même n’est pas intéressée à rester là où elle est, pourvu qu’elle y soit libre? Que gagnerait-elle à s’éloigner, et où s’enfuirait-elle d’abord? Ce n’est pas en Espagne sans doute qu’elle irait aujourd’hui chercher l’indépendance et la paix; ce serait placer son trône à peu près sur un volcan. Serait-ce en Autriche, en France, en Irlande parmi les fenians, en Amérique ou bien dans quelque île perdue de la Méditerranée? Il est facile pour l’honneur de l’inflexibilité d’imaginer de ces coups désespérés. Et après! ce serait sans doute d’abord un spectacle de nature à émouvoir le monde. Le premier moment passé, on finirait peut-être par s’accoutumer à cela comme à tant d’autres spectacles. La papauté risquerait de s’affaisser dans l’obscurité, perdant de son prestige en quittant son vieux siège. N’est-ce donc point ici un de ces intérêts communs qui rattachent ensemble la papauté et l’Italie, qui créent une sorte de terrain naturel, presque nécessaire de rapprochement?

Aller ailleurs dans les conditions présentes du monde, ce serait une immense aventure. Et quand même, pour rester à Rome, la pa-