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tion elle-même a toujours été vue avec froideur; elle n’a jamais cessé d’être regardée comme une occupation étrangère, blessante dans une certaine mesure pour l’orgueil national, gênante par les habitudes de discipline et les précautions multipliées qu’elle entraînait avec elle. Près de la porte Saint-Pancrace, à la villa Pamphili, dont les murs portent encore incrustés les boulets de 1849, il y a un endroit où nos soldats tombés pendant le siège ont été ensevelis, et sur une pierre on a écrit simplement ces mots très chrétiens et peu enthousiastes à coup sûr : « Ici reposent les dépouilles mortelles des Français qui ont succombé sur ce sol pendant la guerre de 1849. Philippe-André prince Doria Pamphili, par un sentiment de piété chrétienne leur a élevé ce monument... Priez pour eux! » Les portes et les murs abattus par la guerre ont été relevés, et on a mis en souvenir une inscription plus froide encore : Belli impetu anno Christi 1849 disjecta ! — Pour qui connaît les habitudes de l’épigraphie italienne, la modestie de ces inscriptions est éloquente.

En réalité donc, l’occupation française est restée peu populaire parmi les Romains, et cela se conçoit; mais ce qui est plus étrange, c’est qu’au fond, dans l’intérieur de la cour de Rome, on ne pense peut-être pas autrement, quoique par des raisons différentes. Je surprenais un jour ce sentiment dans une conversation avec un ecclésiastique romain à l’esprit vif, dont le langage ne faisait après tout que reproduire librement et tout haut ce qu’on pense tout bas. « Que voulez-vous, disait-il, la France est venue à Rome, la France se retire; nous ne devons lui savoir aucun gré, parce que ce n’est pas pour nous qu’elle est venue, elle le montre bien à présent. Elle se retire parce que c’est dans les convenances de sa politique d’aujourd’hui, de même qu’elle est venue en 1849 pour ne pas laisser l’Autriche seule en Italie. Elle était libre; mais ce qu’elle nous devait, c’était de ne pas nous laisser dans l’illusion. A quoi ont servi ces dix-sept ans d’occupation? A rien, si ce n’est à nous endormir, à nous lier les mains, à énerver chez nous tout sentiment de responsabilité, pour nous conduire en fin de compte là où nous sommes. Si elle nous avait abandonnés plus tôt, nous aurions bien été obligés de marcher tout seuls; nous serions peut-être arrivés à nous arranger, parce que rien n’était perdu encore, et dans tous les cas, convenez-en, nous ne pouvions tomber plus bas. Que faire maintenant? Les trois quarts de nos provinces nous ont été enlevés, et tout cela s’est fait, la France étant là. Elle ne pouvait intervenir contre l’Italie, dites-vous, et ce n’était pas sa politique de couvrir d’une protection indéfinie ce que vous appelez les abus de notre gouvernement; mais alors pourquoi restait-elle? Pourquoi nous bercer de cette éternelle garantie des états de l’é-