Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/749

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intérêt religieux; il est facile aussi de lui créer des situations diplomatiques d’où elle se tirera comme elle pourra. Quand on est à Rome, on sent ce travail qui s’accomplit partout, même dans le monde ecclésiastique, et qui pousse inévitablement ce qui reste de souveraineté pontificale vers l’Italie. Je ne voudrais pas mettre des illusions à la place de la réalité et imaginer quelque coup de théâtre de soudaine et merveilleuse réconciliation qu’il est toujours plus aisé de désirer que de prévoir. Ce que je veux dire, c’est qu’à Rome il y a deux choses : une papauté combattant jusqu’au bout, jusqu’au bout maintenant l’intégrité de son existence, et un mouvement infiniment complexe qui s’accélère par la logique de toute une situation, par une impossibilité croissante de vivre, par la force des intérêts, peut-être en partie par l’amertume de l’isolement au milieu d’un abandon universel, comme aussi par toutes les affinités que crée entre Italiens une secrète et permanente intelligence. Et les derniers événemens ne sont pas de nature à suspendre l’action de ce mouvement; tant que l’Autriche était à Venise, il y avait encore une dernière espérance : l’armée autrichienne sur le Mincio et sur le Pô, c’était toujours la possibilité d’une occasion, d’un retour de fortune; aujourd’hui Venise à son tour est réunie à l’Italie, l’Autriche n’a certainement ni la volonté ni la puissance de secourir les autres, fût-ce le pape. Le cercle est complet et fermé autour du saint-siège, qui reste seul, livré au sentiment d’une situation extrême.

Ainsi placée, Rome est poussée vers l’Italie, disais-je, et la première de toutes les causes qui la poussent, c’est qu’elle ne peut pas vivre dans les conditions actuelles. Elle ne peut vivre ni politiquement ni économiquement. Telle qu’elle est aujourd’hui, cette souveraineté temporelle, comme l’a dit le cardinal Antonelli, n’est plus qu’un corps artificiel et difforme qui n’a qu’une tête et point de membres. Il faut se rendre bien compte de cette situation. Ce qui reste de population au saint-siège s’élève à six cent quatre-vingt-treize mille âmes, dont Rome seule absorbe deux cent mille. Les plus riches de ses provinces ne lui appartiennent plus. Il lui faudrait au moins l’Ombrie pour vivre, mais il ne l’a plus. Ce qui lui reste de ses anciennes possessions est la partie la plus pauvre, la moins cultivée, la moins industrieuse, et même la moins faite pour un développement possible de la richesse. C’est notamment cette immense et monotone campagne de Rome, où le chapitre de Saint-Pierre, les monastères, les hôpitaux et les familles patriciennes se partagent de vastes domaines livrés à la pâture, et soumis à cet étrange régime de la main morte qui les frappe d’une stérilité séculaire. Pour les féconder, il faudrait les transformer par tout un nouveau régime civil et économique; mais