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résolus adversaires du pouvoir temporel, c’est M. Giorgini qui répond, montrant un des côtés les plus graves assurément de cette redoutable question. « Si le pape quitte Rome, dit-il, sa position anormale devient pour tous les états de l’Europe un motif d’inquiétude et un sujet d’embarras. Ses malheurs feront oublier ses torts, réchaufferont le zèle d’un grand nombre de catholiques, mettront de son côté toutes les sympathies toujours réveillées au dernier moment par la faiblesse qui ne se défend pas et par la grandeur qui s’humilie. Si alors nous sommes à Rome, si nous sommes regardés comme le seul obstacle au retour du pape, à la pacification de l’église, tous ces sentimens se tourneront contre nous. La possession de Rome nous mettra dans une position extrêmement difficile vis-à-vis de l’Europe, et cette opposition de l’Europe, en imprimant à notre possession le caractère d’un fait irrégulier et précaire, sera une source incessante de désordres et d’agitations intérieures. Dans de telles conditions, la possession de Rome n’ajouterait rien à notre crédit et à notre puissance réelle. » Ceux qui seraient peut-être aujourd’hui le plus pressés d’aller à Rome sont les Piémontais, et cela se conçoit. Turin, d’où est parti le signal de l’indépendance, n’avait abdiqué que pour Rome. Turin aurait bien eu quelque droit de rester cette capitale de tous les jours dont parlait Cavour. Les Italiens des autres provinces s’accommodent plus aisément d’une halte nouvelle, si elle est nécessaire. Voilà ce que je voulais dire sur les dispositions réelles, sur les intérêts, sur la situation morale de l’Italie dans son rapport avec cette crise des affaires de Rome.

Certes, à n’observer que l’extérieur des choses, ce problème, déjà si difficile du côté de l’Italie, est encore plus insoluble du côté de Rome, car enfin l’Italie poursuit l’abolition du pouvoir temporel, Rome proteste, et comme la papauté est une de ces puissances que n’abattent ni les villes prises ni les batailles perdues, qui subsistent dans leur intégrité tant qu’il en reste un fragment, on est tout simplement dans une voie sans issue. Ici encore pourtant ne vous méprenez pas. Si on a fait du chemin du côté de l’Italie, on en a fait aussi du côté de Rome. Ce qu’il y a de plus curieux dans ces mouvemens étranges, c’est que ce travail de cheminement, si on peut se servir de ce mot, se poursuit des deux côtés à l’abri de principes absolument inconciliables. Rome se raidissant, résistant, opposant à toute entreprise sur sa souveraineté temporelle l’inexorable non possumus, et faisant en définitive une plus noble figure que beaucoup d’autres pouvoirs humains qui se croient inébranlables parce qu’ils ont des armées, Rome ne laisse pas de sentir la force des choses.

De loin il est facile de se représenter une papauté abstraite, idéale, insensible à tout ce qui se passe autour d’elle, hormis à