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à Rome cette négociation dont j’ai parlé. Que cette négociation ait existé effectivement, cela n’est point douteux. Un ministre des affaires étrangères, le général Durando, l’a confirmé depuis; il a dit avoir vu les documens, il a fixé les dates, — du 26 décembre 1860 au 23 mai 1861. Le difficile serait de saisir les fils de cette diplomatie, d’autant plus qu’elle était très compliquée, et que ceux qui y étaient employés ne savaient pas toujours eux-mêmes ce qu’ils faisaient ni où ils allaient. Ce qui paraît certain, c’est que Cavour offrait les plus larges garanties d’indépendance, de liberté, de dignité, que la difficulté essentielle était éludée par un vicariat étendu à tous les états pontificaux, combiné avec une délégation complète, héréditaire, de toute l’autorité civile et politique, — et on dit même que le cardinal Antonelli, écoutant académiquement ces confidences, aurait suggéré une clause de réversibilité au saint-siège dans le cas de démembrement de l’unité ou d’invasion étrangère. Le secret, après tout, est resté dans la tête de Cavour, il l’a emporté avec lui; mais ce qu’on sait bien, c’est ce qu’il a fait, c’est ce qu’il a dit publiquement, c’est la manière dont il posait la question, et ici on touche au nœud de la situation actuelle.

Que Cavour voulût aller à Rome, que ce fût chez lui une conviction réfléchie, cela est bien certain; mais ce qu’on oublie, ce qu’on ne va pas chercher, c’est la formule dans laquelle il enfermait sa pensée et qui est devenue le programme de la politique italienne, c’est cet ordre du jour du 27 mars 1861, préparé d’accord avec lui et présenté par M. Boncompagni. Cet ordre du jour est curieux par tout ce qu’il comprend, par tout ce qu’il permet, par l’immense latitude qu’il laisse à la diplomatie d’un homme dont la sagacité et la circonspection égalaient la hardiesse. « La chambre, disait-on, les déclarations du ministère entendues, ayant la confiance que la dignité, l’honneur et l’indépendance du pontife étant assurés aussi bien que la pleine liberté de l’église, l’application du principe de non-intervention aura lieu de concert avec la France, et que Rome, capitale acclamée par l’opinion nationale, sera réunie à l’Italie, passe à l’ordre du jour. » Voilà bien des conditions qui ressemblent, pour me servir d’une expression vulgaire, à autant de billets tirés sur l’avenir. Ainsi Rome est moralement acclamée capitale de l’Italie, l’effet est ajourné à sa réunion au royaume, et tout est subordonné à un accord avec la France, à l’établissement de la pleine liberté de l’église, de toutes les garanties de souveraineté, de dignité, d’indépendance pour le saint-siège, faites pour désintéresser l’univers catholique. Et qu’on ne croie pas que cette liberté, cette indépendance de la puissance spirituelle fût pour Cavour un vain mot, un moyen de faire illusion aux catholiques, de tromper les craintes qu’ont pu ressentir les esprits sincères de voir le saint--