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et charmant dont M. Rendu vient de publier les lettres[1], et dont on va publier les mémoires, qu’au début des affaires religieuses du Piémont c’était le roi Victor-Emmanuel qui avait émis l’avis le plus sensé et le plus fin. Lorsqu’on lui porta la loi du foro ecclesiastico, ce souverain, qui a le bon sens d’un prince de sa race, la religion du charbonnier et la simple droiture d’un soldat, se tordit la moustache et fit la grimace. « Allons, dit-il ou à peu près, avec votre loi qui en annonce d’autres, nous entrons dans un fourré d’épines. Pour cette seule loi, on criera autant que si nous les faisions toutes à la fois, et ce sera toujours à recommencer. Mieux vaudrait présenter un simple article rétablissant le régime qui a déjà existé ici sous l’empire. Puisqu’à Rome on avait accepté ce régime, on ne peut pas refuser de le reconnaître aujourd’hui. » Et le roi Victor-Emmanuel avait raison. On ne fit pas ainsi en Piémont et on n’a pas fait ainsi en Italie. Cette temporisation, on ne peut se le dissimuler, a eu le grave inconvénient d’entretenir le feu de cette guerre religieuse qui était à peu près inévitable tant que les grandes questions n’étaient pas irrévocablement tranchées, de laisser peser sur le clergé toutes les incertitudes d’une situation précaire; elle a eu l’effet de ces menaces qu’on tarde à exécuter, et qui irritent sans décourager l’espérance. Puisque la constitution de l’indépendance civile se liait intimement à la résurrection nationale et en était l’heureuse fatalité, mieux valait dès le premier instant préciser la mesure de ce qui était nécessaire, établir d’un seul coup la forte base sur laquelle l’état et l’église pouvaient traiter dans les conditions de cette complète indépendance qui est le dernier mot de la politique italienne. L’expérience eût commencé plus tôt, les passions se seraient usées plus vite, et une négociation avec Rome eût trouvé le terrain déblayé, mieux préparé; mais cette lenteur que les Italiens ont mise dans la réalisation de certaines réformes, — eux qui ont marché si impétueusement et si résolument dans d’autres affaires, — cette lenteur en définitive n’est-elle point la preuve de ce besoin qui existe au-delà des Alpes de ne point rompre avec les susceptibilités religieuses, de n’accepter sur ce terrain que les antagonismes inévitables?

A vrai dire, réduite à ces termes d’une revendication d’indépendance civile, la question n’aurait rien de nouveau ou de particulièrement grave; elle aurait même moins de gravité que dans d’autres pays, comme la France, qui a procédé avec une bien autre violence, ou comme l’Espagne, qui a commencé par massacrer ses moines avant de se réconcilier avec le pape pour se tourner contre

  1. L’Italie de 1847 à 1863. — Correspondance, politique de Massimo d’Azeglio, par M. Eugène Rendu; 1 vol. in-8o. Didier, éditeur.