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il arrive toujours, quand l’antipathie a pu se produire librement, elle a éclaté avec violence; elle est devenue une passion fixe, elle a promené partout son mot d’ordre : plus de gouvernement des prêtres! Elle est allée enfin droit à la souveraineté politique du pape comme à la source du mal, comme à l’expression suprême et visible de ce débordement de la prépotence cléricale dans la vie civile. De là désormais l’impossibilité pour le pouvoir temporel de se soutenir dans l’Italie constituée en nation indépendante et libre. Sur ce point, on peut l’assurer, l’Italie ne transigera pas, et il est étrange que ceux qui ne supporteraient plus ce régime en France considèrent encore comme un intérêt de leur foi de le soutenir ailleurs.

Cette haine du temporel de l’église, ce besoin d’émancipation civile est donc un fait éclatant, j’ose dire nécessaire, invincible au-delà des Alpes; mais, qu’on ne s’y trompe pas, c’est la haine du temporel, ce n’est pas la haine du prêtre parce qu’il est prêtre, ni du pontife de Rome comme chef de la religion. Je ne veux pas dire que la religion soit toujours à l’abri de toute atteinte, et qu’il lui soit aussi commode de vivre dans les conditions actuelles que dans le passé. Au fond, même aujourd’hui, même dans le feu des luttes contemporaines, elle garde une assez grande puissance, et elle n’aurait peut-être qu’à se résigner aux sacrifices inévitables pour retrouver un nouvel ascendant. Parcourez l’Italie sans lire les journaux, et vous ne vous douterez pas assurément que c’est là un pays en guerre avec l’église, tant le prêtre est encore mêlé à tout et ressemble à une plante naturelle de ce sol étrange, fertile et tourmenté. Le prêtre est entré dans la vie sociale et y est resté; il y est avec moins de gravité, moins de dignité que le clergé français, et avec plus de familiarité. C’est que dans le fait, au-delà des Alpes, tout est substantiellement catholique, génie, mœurs, arts, souvenirs, traditions, vices même ajouterai-je. Il y a longtemps qu’on l’a dit avec vérité : « Les masses en Italie seront catholiques, ou elles ne seront rien. » Sur elles, les propagandes religieuses n’ont qu’une faible prise, et jusque dans les classes élevées le plus rigide adversaire du pape-roi présidera à la prière patriarcale du soir dans son château. C’est ce qui explique cette facilité avec laquelle les Italiens admettent l’idée de la liberté de l’église. Libres eux-mêmes, satisfaits dans leurs aspirations nationales et civiles, ils ne se sentent plus ni émus ni offensés d’une église libre. Leur antipathie s’arrête là où finit le gouvernement clérical et où commence la religion. C’est leur sens pratique qui se charge de la distinction.

Ce qui a trompé quelquefois, ce qui trompe encore souvent, c’est cette guerre dans laquelle l’Italie nouvelle s’est laissé entraîner pendant quelques années contre le clergé : prêtres poursuivis parce qu’ils refusaient les sacremens, parce qu’ils ne voulaient pas chan-