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première vue de la capitale du monde romain devait avoir produit sur un jeune provincial de Mantoue. « Insensé ! je croyais cette ville, qu’on appelle Rome, semblable à la nôtre… »

Urbem quam dicunt Romani, Melibœe, putavi,
Stultus ego, huic nostræ similem…


Nous ayons déjà rencontré de beaux vers de Virgile sur le Capitole doré (couvert de tuiles en bronze doré), sur le Tibre aux bords abrupts² comme il l’est aux portes de Rome, sur les théâtres où applaudissent les patriciens et les plébéiens séparés par Auguste. Le combat à coups de poing d’Entelle et de Darès offre une vive peinture du pugilat, tel que Virgile avait pu l’observer dans le stade où Auguste avait montré aux Romains les jeux de la Grèce. Enfin la longue description du jeu troyen est évidemment faite d’après les exercices équestres de la jeunesse romaine que l’on nommait ainsi, dans lesquels brillaient au premier rang les petits-fils d’Auguste, et qu’Auguste fit célébrer notamment après la dédicace de son forum et du temple de Mars Vengeur.

Il ne faut point chercher dans Virgile le sentiment de la campagne romaine[1], de l’air d’abandon, qui, grâce aux latifundia, commençait déjà à se montrer, de l’horizon sublime qu’on y découvre, sublimité bien sévère pour le génie de Virgile. Virgile a peint deux natures de préférence à celle-là, les vertes prairies de Mantoue, le cours onduleux du Mincio.

….. Tardis ingens ubi flexibus errat
Mincius……….
Pascentem niveos herboso flumine cycnos.

C’est aussi la nature napolitaine qu’il paraît souvent peindre volontiers, surtout dans ses églogues si grecques, car la Campanie, à beaucoup d’égards, c’est déjà la Grèce. Virgile avait visité Naples dans sa jeunesse ; si le village d’Andes, près de Mantoue, fut son berceau, Naples lui donna son tombeau, non celui qu’on montre aux étrangers avec un laurier replanté de temps en temps pour les touristes anglais. Naples a gardé aussi la tradition populaire, telle que le moyen âge l’a faite, de Virgile savant et magicien, dont l’école était sur le rivage, où des rochers portent encore le nom de scuola di Virgilio (école de Virgile).

  1. Quelques traits cependant la rappellent vivement : les chèvres qui sont suspendues aux rochers couverts de broussailles (Ecl., I, 77) :
    Dumosa pondere procul de rupe videbo.
    Tout voyageur qui a erré dans la campagne de Rome peut dire : Vidi.