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certain mélange d’audace et de dextérité, sont le mieux doués pour trouver une issue à travers les impossibilités, même à travers des montagnes de principes, pour résoudre en fait ce qui en théorie est peut-être insoluble. Souvenez-vous encore que dans ce drame, qui se complique sans doute d’un élément universel, la papauté est italienne jusqu’ici, et l’Italie, la plus révolutionnaire des nations contemporaines en apparence, n’a point cessé d’être catholique. Cela dit, quelle est au fond la situation morale de l’Italie? quelle est son attitude, quels sont ses mobiles, quels sont ses intérêts dans la crise actuelle ?

Cette révolution italienne, que nous avons vue s’accomplir sous nos yeux, procède d’un double sentiment, celui de la nationalité et celui de la liberté. Ces deux sentimens sont si intimement mêlés, tellement inséparables, que l’un ne s’explique pas sans l’autre. Depuis soixante ans, au-delà des Alpes, celui qui a ouvert son âme à une espérance patriotique est devenu nécessairement un libéral, celui qui a ouvert son esprit à une pensée libérale a été forcément un patriote. De là est né un sentiment qui n’est en quelque sorte que la conséquence naturelle et amère des deux autres, et qui est peut-être le phénomène le plus frappant dans la vie publique de la péninsule, je veux dire l’antipathie à peu près universelle, profonde, radicale, contre le gouvernement des prêtres et contre le pouvoir temporel, qui n’est que le gouvernement des prêtres concentré, élevé à sa plus haute puissance. Cette antipathie, il n’y a point à se faire illusion, règne d’un bout à l’autre de la péninsule dans les classes qui participent à la vie politique, et elle est peut-être plus vive dans les anciennes provinces pontificales que partout ailleurs. On n’a peut-être pas oublié qu’en 1860 il a fallu l’intervention d’une force française pour retenir dans le domaine du pape Viterbe, qui venait de voter spontanément l’annexion au royaume d’Italie. C’était assez simple. Que représentait en effet pour les Italiens ce pouvoir temporel ou ce gouvernement des prêtres? Ils ne voyaient en lui politiquement qu’un obstacle invariable à l’indépendance nationale, l’auxiliaire intéressé de l’Autriche, l’allié de la domination étrangère, se relevant sur les ruines de l’Italie et couvrant pour ainsi dire d’une sanction religieuse les mouvemens les plus outrés de réaction. L’antipathie contre la prépotence cléricale est devenue ainsi une des formes de la haine de l’étranger. Et ce sentiment a été peut-être d’autant plus vif, d’autant plus amer, qu’il s’y mêlait une déception au souvenir des premiers temps du règne de Pie IX.

Mais ce n’est pas tout. Cette antipathie contre le gouvernement des prêtres a une bien autre cause; elle tient à cet abus des influences cléricales qui a pendant si longtemps et en quelque sorte