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maines, parfois même des mois entiers lorsqu’ils sont retardés par des vents contraires. L’idée la plus simple était d’ouvrir un canal maritime à travers l’isthme de Kraw; mais, en présence de l’énorme évaluation de dépenses que ce projet supposait, les ingénieurs qui avaient étudié le pays en vinrent à ne plus parler que d’un chemin de fer. Le sol de la péninsule est, dit-on, peu accidenté; il existe de chaque côté des embouchures de rivières larges et profondes qui seraient transformées sans peine en excellons ports. La contrée qu’il s’agit de traverser est fertile, mais peu peuplée. Au fond, nul ne sait bien à qui elle appartient. La province de Ténasserim, que les Anglais ont enlevée à l’empire birman il y a quarante ans, se termine juste auprès de Kraw. Le roi de Siam prétend exercer un droit de souveraineté sur toutes les tribus sauvages de la péninsule; les chefs de ces tribus semblent convaincus de leur indépendance. Il est plus exact de croire que cette contrée est encore vacante, et se laisserait volontiers conquérir par la première nation européenne qui tenterait de s’y établir. Grâce à la salubrité du climat et à la richesse du sol, l’isthme de Kraw deviendrait vite, comme Penang et Singapore, un immense entrepôt pour le commerce de l’Orient, un lieu d’émigration favori pour les diverses races de la Chine et de l’Hindostan, un centre de production et d’échange pour toutes les cultures délicates qui ne prospèrent que dans la zone équatoriale.

Ce chemin de fer, qui substituerait entre Ceylan et la Cochinchine une route presque directe aux dangereux circuits du détroit, de Malacca, parut encore cependant à certains esprits être une voie trop détournée. C’est plus au nord et au-dessus même du royaume de Siam que l’on a prétendu découvrir une voie de communication rapide et régulière entre l’Inde et la Chine occidentale. Entre la province chinoise de Yun-nan et la baie du Bengale, dont toutes les côtes sont soumises maintenant à l’autorité britannique, il existe une assez vaste contrée, arrosée par d’immenses rivières qui coulent du nord au sud. C’est le territoire de l’empire birman et de plusieurs petits états tributaires ou vassaux de cet empire. Le pays est de sa nature assez plat; ce que l’on peut pressentir à l’examen seul de la carte d’après le nombre et l’abondance des cours d’eau. La circulation y est assez facile, sinon par les rivières qu’obstruent souvent des îlots ou des arbres flottans, au moins par les vallées et les plaines intermédiaires. Des voyageurs ont constaté que les transports s’y font d’habitude par chariots et non par bêtes de somme, ce qui démontre que la viabilité n’est pas trop mauvaise. Quel obstacle s’opposerait donc à ce qu’une route carrossable ou même une voie ferrée fût tracée à travers ces plaines?