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Malacca. N’est-ce pas un fait singulier et bien digne d’attention que cette persistance des caractères distinctifs d’une race déterminée sous une domination étrangère et au milieu d’émigrans de tant de pays divers?

Ainsi, à la différence de la plupart des possessions lointaines, qui n’ont d’intérêt que par leur histoire actuelle et ne recèlent aucun vestige du temps passé, Malacca est une ville curieuse au point de vue archéologique. Les témoignages d’une ancienne prospérité peuvent être retrouvés ailleurs que dans les traditions des habitans et l’histoire écrite des événemens dont elle fut le théâtre. Des monumens en ruine attestent qu’il y eut là une cité grande et prospère. D’anciens monastères sont transformés en magasins et en caséines. Des caveaux souterrains dont on ne voit que l’orifice semblent avoir mis en communication les principaux édifices. Du fort qui défendait la rade et que les Anglais détruisirent il y a soixante ans, lorsqu’ils se virent menacés de perdre cette ville, il subsiste une porte monumentale construite avec le plus grand soin. Le palais du gouvernement, vieil édifice d’architecture hollandaise, avec ses pignons et ses créneaux, rappelle un autre climat. Il semble qu’il soit téméraire d’élever une construction si durable en une colonie que le hasard de la politique peut faire perdre, et de fait on se dit que les Hollandais qui bâtirent celle-ci n’en ont guère joui; mais le monument le plus digne d’attention est la vieille cathédrale de Saint-Paul, dont il ne reste que les murs à moitié cachés sous les arbustes et les plantes grimpantes qui y ont pris racine. Albuquerque, le conquérant portugais, en posa, dit-on, la première pierre peu d’années après s’être emparé de Malacca. Les matériaux furent enlevés, si l’on en croit la tradition, au palais des anciens rois malais; ce n’en fut pas moins une œuvre colossale, dont le peuple conquis supporta sans aucun doute, la plus lourde charge. Cependant, à considérer la part que des artisans européens durent y prendre, on reste convaincu que les émigrans de race blanche devaient être alors riches et nombreux. Les colons du XIXe siècle ne semblent pas avoir été capables d’entretenir le monument que ceux du XVIe siècle avaient édifié.

Lorsque les Hollandais s’emparèrent de Malacca en 1642, ils consacrèrent au culte réformé la cathédrale que leurs prédécesseurs avaient élevée pour la religion catholique. Ils continuèrent aussi, comme les Portugais, à enterrer sous le sol de l’édifice les chefs du gouvernement et les principaux citoyens de la ville; mais bientôt ils laissèrent l’ancien temple s’écrouler, et en construisirent dans le voisinage un nouveau moins vaste et moins magnifique. Aujourd’hui la cathédrale de Saint-Paul n’est plus qu’une nécropole. A