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toutes sont mues par la vapeur et occupent des ouvriers européens. Cependant la culture de la canne reste encore la spécialité des Malais indigènes et des émigrans chinois, qui paraissent seuls capables de se livrer aux rudes labeurs de la campagne. Cette nouvelle industrie a donné du reste des résultats très favorables. Bien qu’elle exige au début des capitaux considérables tant pour défricher le sol que pour installer les usines, elle prendrait plus d’extension encore, si la place ne manquait déjà aux colons. Ceux-ci, qui ne peuvent se procurer, même à prix d’argent, les grandes surfaces de terrain dont ils auraient besoin, manifestent le désir de voir les frontières de la province reculées aux dépens des états indigènes limitrophes. L’annexion ne coûterait sans doute, comme par le passé, qu’une rente annuelle à payer au rajah, conquête pacifique qui ne porterait même pas atteinte aux droits des populations indigènes, puisque celles-ci viennent s’établir de plein gré sur le territoire soumis à l’autorité anglaise.

Lorsque l’on quitte Penang pour revenir vers Singapore, on rencontre aux deux tiers environ de la distance la ville de Malacca, jadis puissante sous ses chefs malais, riche et prospère lorsqu’elle fut le siège d’une colonie portugaise ou hollandaise, ne conservant aujourd’hui que les ruines de sa splendeur passée et le stérile honneur d’avoir donné son nom à la région qui l’entoure. Est-ce le commerce des épices qui a fait de la province de Malacca au XVIe siècle une des terres les plus florissantes du globe ? Est-ce l’exploitation des métaux et des pierres précieuses qui, — comme semble l’indiquer le nom de mont Ophir donné à la chaîne de montagnes la plus rapprochée, — fut alors une source de richesses abondante? Les navigateurs de cette époque éloignée y virent-ils autre chose qu’une station sur la route de la Chine et la clé des détroits qui mènent dans l’extrême Orient? Quoi qu’il en soit, Malacca devint tout de suite entre les mains des Portugais une sorte de colonie comme en fondaient les peuples de l’antiquité. Il s’y établit une population d’émigrans sans esprit de retour, dont les descendans, après avoir subi tant de maîtres divers, conservent encore avec orgueil leur nom générique. Ces Portugais d’un autre monde, peu nombreux du reste, alliés pendant trois siècles aux races asiatiques du voisinage, n’ont plus dans le sang qu’une parenté imperceptible avec leurs frères d’Europe. On les reconnaît encore au costume européen, dont ils ont fidèlement conservé l’usage, au langage de leur mère-patrie, qui a dégénéré par l’effet du temps en un patois bizarre. Les hommes de cette classe sont commis dans les maisons de commerce ou les administrations publiques, prêtes ou compositeurs dans les imprimeries de Singapore, pêcheurs ou petits propriétaires aux environs de