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qu’à en supprimer un déjà établi; mais il était à craindre que la suppression de la franchise douanière ne rejetât le commerce vers les ports voisins de Batavia et de Saigon. Singapore en effet est surtout un port de relâche, un entrepôt, et présente ce singulier spectacle d’être une place de commerce de premier ordre, quoiqu’on n’y fabrique rien et qu’on y récolte peu de chose. Il n’y a ni usines, ni industrie d’aucune sorte. Ce qui en sort n’a pas été récolté dans l’île, sauf une très faible partie, et n’y a même subi aucune transformation. La majeure partie de ce qui entre n’est pas destinée à la consommation locale. Les royaumes indigènes qui l’avoisinent y versent leurs produits, qui arrivent sur les barques des Malais et sont transbordés sur les bâtimens européens. Les marchandises de provenance étrangère sont envoyées à Singapore, d’où on les expédie de nouveau vers telle ou telle partie de l’Asie, suivant les prévisions du commerce et les approvisionnemens des marchés. Par exemple l’Hindostan fournit à l’archipel malais de grandes quantités de riz et d’opium, qui arrivent en masse à Singapore, et sont expédiées en détail vers les îles voisines qui en ont le plus besoin.

Quoique le commerce soit le principal élément de prospérité, le sol de l’île entière est doué d’une fertilité si merveilleuse que l’on ne fut pas longtemps sans songer à défricher les jungles qui la recouvrent. Il y avait un intérêt particulier à y introduire la culture des épices, à laquelle les colonies portugaises et hollandaises de cette région du globe devaient, croyait-on, leurs plus grands succès. La muscade et le clou de girofle étaient pour ainsi dire un monopole entre les mains des Hollandais vers la fin du XVIIIe siècle. Les plantations d’Amboine et de Banda paraissaient aux étrangers des mines d’or d’autant plus dignes d’envie qu’elles étaient au pouvoir d’une seule nation. Les précieux végétaux qui produisent ces denrées furent acclimatés sur le territoire de la péninsule malaise; mais le succès ne répondit pas aux espérances qu’on en avait conçues. Le poivre seul donne des produits abondans; les autres arbustes ont péri par l’effet de maladies spéciales que les planteurs n’ont pas su guérir. Néanmoins les Chinois, qui se livrent avec ardeur aux cultures de ce genre, défrichent peu à peu les forêts vierges qui couvrent l’intérieur de l’île, afin d’étendre leurs plantations.

La végétation a une telle puissance dans cette contrée que la terre ne reste jamais nue et stérile. A peine le terrain a-t-il été débarrassé des arbustes et des plantes qui le recouvraient, qu’on y voit reparaître des rejets vigoureux dont la croissance rapide étonne le voyageur. On dirait que sous la zone torride la nature a plus de puissance pour créer que pour détruire. L’arbre qui périt de vé-