Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de place pour l’éloquence politique, qui cessa en effet de se faire entendre. L’un et l’autre peuple s’étaient mis hors de lutte : ils s’endormirent sur la foi du pilote au sein de cette mer agitée dont parle le poète Horace, et de ce jour commença pour eux une ère d’effrayantes révolutions dynastiques qui les conduisit aux abîmes.

La loi des périodes et des forces antagonistes s’accomplissait pour eux dans les conditions nouvelles qu’ils s’étaient créées pour lui échapper. Que l’on compare le sort d’un Hortensius, orateur épicurien comblé d’honneurs et de richesses sous la république, avec celui de son petit-fils Hortalus venant mendier à la porte du sénat, devant l’image de son aïeul, en présence de Tibère, qui le repousse en lui jetant l’obole pour ses enfans, et l’on aura une idée de la condition des orateurs et de leurs descendans sous ces deux. régimes. Que l’on compare aussi l’attitude calme et noble d’un Périclès avec les avertissemens douloureux d’un Démosthènes et les aboiemens d’un Eschine, et l’on saisira dans leur contraste poignant les deux situations où se trouva le peuple athénien quand il présidait librement à sa destinée, et quand son dernier orateur poussa pour lui le cri de détresse. Ce cri, qui fut le dernier, marqua l’heure où le peuple grec, mis hors de combat par les monarques macédoniens, perdait sa liberté et se précipitait silencieux dans sa décadence.

Dans les pages qu’on vient de lire, j’ai voulu montrer que dans l’ordre religieux et plus visiblement encore dans l’ordre politique il y a chez les grandes nations de notre race trois choses qui sont unies par des rapports étroits, l’éloquence, la liberté, la lutte. La lutte est un fait nécessaire, inévitable, produit par la constitution de notre nature et soumis à une loi primordiale et universelle. Elle est la condition de toutes les transformations sociales et politiques: dirigée avec méthode et d’après le principe de la liberté, elle engendre le progrès; empêchée dans sa marche ou retenue par des gouvernemens protecteurs, même par ceux qu’animent les intentions les plus bienveillantes, elle se concentre, accumule ses forces sur certains points du temps et éclate en révolutions; car, de quelque nom qu’on la désigne, la révolution, lente ou explosive, est l’état permanent de l’humanité. Il ne faut ni l’exalter ni la maudire : il faut l’accepter comme un fait et comme une loi et s’efforcer de la rendre la plus inoffensive qu’il est possible; or le seul moyen efficace indiqué par la théorie et par l’histoire, c’est de lui laisser son libre cours. Si c’est une fièvre qui nous travaille, tout remède violent qui la répercute la fait éclater ailleurs en ma- ladies plus dangereuses qu’elle-même et parfois mortelles. Mais comment croire qu’une loi universelle de la nature soit une mala-