Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/642

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre qu’en la détruisant, et l’accroissement de l’une est toujours en proportion avec la diminution de l’autre. Les peuples, leurs constitutions, leurs lois, leurs idées, leurs inventions, leurs intérêts, leurs rapports entre eux, leurs guerres et leurs traités, sont soumis comme tout le reste à la loi absolue des changemens périodiques. Une nation croit échapper à cette loi et conquérir la stabilité en remettant ses affaires aux mains d’un seul homme qui les discute en silence, seul ou entouré de quelques conseillers, comme à Rome; elle est en cela le jouet d’une illusion dont voici la cause. Il n’y a de halte que dans l’unité éternelle de Dieu; cette unité, l’individualité humaine en est l’image, et l’homme à son tour communique à tout ce qu’il fait l’image de sa propre personne et de sa permanence apparente. Ainsi un monarque absolu organise et administre son état suivant une constitution et des lois dont il est l’auteur, sa personne est présente partout, toutes choses semblent avoir atteint l’unité, avoir échappé au changement; mais ce prince lui-même vieillit, meurt, et le jour où il disparaît on s’aperçoit que tout a changé autour de nous, que les lois ne répondent plus à des besoins qui avaient grandi dans le silence. La situation d’un peuple qui se retire ainsi de ses propres affaires et qui ne souffre plus qu’on lui en parle est pareille à celle d’un homme retiré dans une caverne obscure et silencieuse, et qui, ne voyant plus le soleil tourner et les saisons s’accomplir autour de lui, s’imaginerait qu’il a conquis le repos et qu’il est devenu éternel. Qu’il sorte de cette nuit et qu’il regarde encore les étoiles et les êtres de la nature, la réalité le détrompera facilement, et s’il se mire lui-même dans la surface immobile d’un cristal, il verra comme sa face a vieilli, comme ses rides se sont creusées, comme la vie s’est retirée de lui par degrés et l’a conduit, malgré qu’il en eût, jusqu’au point où la loi des périodes va toucher pour lui à son accomplissement.

Ainsi l’instabilité des pouvoirs politiques ne saurait effrayer un citoyen digne de l’être, et les changemens dans la loi ne doivent pas troubler sa raison. Cette instabilité est une loi naturelle à laquelle il ne peut se soustraire. C’est à lui de faire en sorte qu’elle s’applique sans secousses violentes et sans soudaines révolutions. Il n’y a pour atteindre ce but aucun moyen plus sûr que l’usage absolument libre de la parole publique. Le rôle de l’orateur en effet est de manifester aux yeux des assemblées et de leur signaler, longtemps avant qu’elle ait grandi, toute force nouvelle destinée à se faire place dans la société. Dès qu’elle entre en lutte, l’orateur qui la défend et celui qui la repousse épuisent une partie des passions qu’elle doit faire naître. Chaque fois que la lutte recommence, la force nouvelle a gagné du terrain, l’orateur qui la représente a plus