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de liberté dont jouit un peuple se mesure exactement au rôle plus ou moins étendu laissé à la parole dans le jeu des institutions. Chez le peuple athénien, durant la période de sa liberté, l’éloquence fut partout, au Pnyx, au sénat, dans les tribunaux, à l’armée, au théâtre, dans les fêtes et les cérémonies publiques. Ceux qui sauvèrent la Grèce et l’Occident à Salamine et à Platée furent des orateurs populaires. Celui que je ne craindrai pas d’appeler le plus grand politique des temps anciens et modernes, Périclès, ne gouverna durant trente ans que par la parole. Chaque loi dont il fut l’auteur, il la développait lui-même à la tribune, sans passion, sans gestes, sans sophismes; il la défendait avec cette inflexibilité persuasive d’un orateur qui se sent appuyé sur une majorité populaire réelle et non factice. Le pouvoir qu’il exerça si longtemps, il le pouvait perdre après un échec à la tribune, et cet échec il l’eût fatalement éprouvé, si le plus grand nombre des Athéniens n’eût point pensé comme lui; mais, comme il ne l’éprouva pas, il put revenir chaque année déposer ses pouvoirs entre les mains du peuple qui les lui avait conférés, et qui chaque année les remettait de nouveau entre ses mains. Lorsque le développement naturel des institutions républicaines eut montré aux Athéniens le rôle et la puissance de l’orateur, l’éloquence devint, elle aussi, une véritable institution et un art que l’on put enseigner. Ils comprirent bientôt que, dans un état où rien ne se fait sans avoir été auparavant discuté et mis en pleine lumière, il s’agit moins de parler avec véhémence et de passionner les hommes que de savoir exposer avec méthode les avantages et les inconvéniens d’une proposition, montrer les causes, la marche et les conséquences certaines ou probables des événemens, faire sentir au peuple souverain à quoi il s’engage, soit envers ses propres membres, soit envers les étrangers. Cette science, qui devient ainsi la base même de l’éloquence, est précisément celle qu’il importe le plus à un citoyen de connaître, car c’est elle qui fait de lui un homme politique. Or il est évident qu’elle ne s’acquiert pas seulement comme une théorie dans les livres et dans les écoles, mais que la véritable école de gouvernement est la pratique des affaires. La solide éloquence, celle qui éclaire une nation dans sa marche, sans l’éblouir par des sophismes ou l’aveugler par des passions, a donc pour condition nécessaire la liberté.

Chaque portion de liberté retranchée est une portion d’éloquence annihilée, car à chacune des libertés publiques répond un ordre particulier de besoins et de problèmes sur lesquels un peuple doit être éclairé quand il fait lui-même ses propres affaires. Si un homme ou une caste s’empare de ces questions et s’en réserve le