Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/636

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

difficile et d’autant moins instructive que la direction des événemens a été plus personnelle et plus taciturne.

En réalité, l’éloquence et la liberté politiques ont été également ignorées de l’Asie. C’est en Grèce et particulièrement à Athènes qu’elles se sont produites pour la première fois dans le monde. Leurs destinées ont été communes : elles ont eu la même origine, elles ont grandi l’une avec l’autre et l’une par l’autre; elles sont arrivées ensemble à leur point culminant, peu après elles ont commencé à courir les mêmes dangers, et, après avoir soutenu de concert leurs derniers combats, elles ont péri frappées du même coup. L’étude de la partie de l’histoire hellénique comprise entre Solon et Philippe de Macédoine est la plus instructive de toute l’histoire du monde et la plus capable d’éclairer sur sa propre conduite un peuple libre ou qui veut l’être; si j’étais un monarque absolu, j’interdirais à mes sujets l’étude de l’histoire athénienne. Il est aisé d’y voir en quoi ce grand peuple a fait consister la liberté politique, et les nombreux discours qu’il nous a laissés nous montrent ce qu’il a fait de l’éloquence. Pour un Athénien, la liberté était le pouvoir de discuter, de diriger et d’administrer ses propres affaires : à ses yeux, un homme était libre dans sa vie privée quand il réglait à son gré sa conduite privée sans qu’aucune puissance extérieure lui imposât quelque contrainte; un homme était libre dans sa vie publique quand il participait, dans la proportion de son droit de citoyen et sans aucun amoindrissement de ce droit naturel, à la direction des affaires de l’état. Quand le peuple d’Athènes fut sorti de l’état monarchique et féodal, et que par une législation fortement conçue il en eut rendu le retour à peu près impossible, il se considéra comme maître de ses destinées et comme en pleine possession de la liberté. En effet, comme sa constitution républicaine était son œuvre, bien que Solon en eût été le rédacteur, elle lui appartenait; il la pouvait modifier selon ses vues, il la savait perfectible sans qu’il fût besoin de le lui dire, il pouvait même la détruire entièrement et la remplacer par une autre. Comme une constitution politique aussi librement formulée répondait nécessairement aux véritables besoins de la nation, il n’y avait aucun risque d’ailleurs qu’elle fût violemment et tout à coup changée. Les besoins anciens ne cessent pas subitement et les nouveaux ne se produisent pas en un jour; la loi que j’ai rappelée tout à l’heure s’applique ici d’une manière éclatante, et les changemens dans la loi politique d’un peuple libre y sont soumis aussi bien que ses besoins.

La parole exprime ces derniers dès qu’ils commencent à se faire jour; mais il y a constamment un besoin ancien qui leur fait obstacle : la discussion s’engage, se prolonge et se reproduit bien des fois dans