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gues à l’éloquence religieuse; seulement, comme la société politique repose sur des constitutions dont la nature est en général très facile à saisir, parce qu’elles sont elles-mêmes très bien définies, l’orateur politique a un domaine plus circonscrit que l’orateur sacré. Dans les limites où se meuvent l’un et l’autre, ils ne peuvent déployer leur art que sous la condition de la lutte et de la liberté. Aussi, dans les états où la liberté politique n’existe point, l’éloquence est une faculté qui demeure sans se développer, c’est un organe qui s’atrophie. Telle est par exemple la Russie chez les modernes; tels furent dans l’antiquité les royaumes de l’Inde et de la Perse. Dans tous ces états, l’autorité monarchique réunissant tous les pouvoirs sociaux, c’est dans l’âme du prince que se concentre la liberté, c’est cette âme seule qui est le théâtre des luttes dont l’issue décide du sort des nations. Les réflexions qui s’y produisent sous la pression des événemens doivent avoir souvent cette éloquence muette que fait naître en chacun de nous le besoin de nous décider dans les graves circonstances de la vie; mais cette éloquence mystérieuse des cœurs royaux, ne se produisant pas au dehors, ne s’est jamais exprimée par un discours en forme et n’a pu engendrer un art. Là où le monarque est tout à lui seul, les peuples ne parlent pas, car on ne peut appeler discours les cris plaintifs qu’ils élèvent de temps en temps vers leurs maîtres pour les implorer ou pour les maudire. En réalité, ces empires et ces royaumes de l’Orient, dont les temps modernes nous ont plus d’une fois reflété l’image, ont été des empires silencieux, dont les peuples sont morts comme ils ont vécu, sans faire de bruit dans le monde et sans laisser d’eux aucun souvenir. Ces peuples marchaient devant eux sous la conduite prudente ou insensée de leurs monarques, pareils à ces troupeaux que les pasteurs des montagnes mènent dans les vertes prairies ou sur le penchant des abîmes.

Comment des peuples aryens, tels que les Indiens et les Perses, ont-ils eu si peu de souci de leurs propres affaires qu’ils s’en soient remis durant tant de siècles au jugement individuel d’un seul homme? Comment aussi notre roi Louis XIV en était-il venu à ce point de confiance dans son pouvoir absolu d’en énoncer la formule avec l’audace et le peu de ménagement que l’histoire nous rapporte? Il y a dans les événemens humains une loi naturelle qui en règle la marche et qui donne à chaque constitution politique la durée qu’elle doit avoir dans chaque nation. Cette loi elle-même n’est pas simple ni primitive, comme les partisans exagérés du gouvernement de la Providence le prétendent; elle est le résultat d’un concours de causes que l’histoire s’efforce d’élucider en les recherchant dans leurs conséquences. L’étude en est d’autant plus